Balufu Bakupa : « Ce qui manque aux politiciens congolais, c’est l’ambition de penser le pays en grand »

Le progrès de la République Démocratique du Congo n’intéresse pas seulement ses filles et fils habitants sur son territoire, mais aussi ceux de la diaspora. Balufu Bakupa Kanyinda est ce rd-congolais résident à l’étranger, mais présent au pays pour exécuter divers projets culturels et audiovisuels. Il s’informe instantanément sur le fonctionnement des institutions et sur les maux qui dérangent la population. A travers cette interview exclusive, il passe en revue l’actualité de la RDC de fin 2016 à ce jour. Il pense que sa casquette d’Hommes de culture ne lui empêche, surtout pas de parler politique, parce que s’il ne prêtait pas attention à ce que font les politiciens, il n’avancerait pas avec ces créations artistiques ou culturelles et son public rd-congolais aura du mal à consommer ses œuvres. Il veut que les politiciens rd-congolais pensent et agissent en grand pour qu’ensemble, ils contribuent au repositionnement de la RDC sur le plan international. Lecture !   

Le cinéaste rd-congolais Balufu Bakupa Kanyinda. Ph.Dr.Tiers

Après deux dialogues dans votre pays la RDC, la majorité présidentielle et une frange de l’opposition ont signé les arrangements particuliers le jeudi 26 avril 2017. Êtes-vous sûr que cette démarche non inclusive assurera la paix et ouvrira une nouvelle ère dans l’histoire de votre nation?

 

Depuis le refus d’organiser les élections, en 2016, tel que prescrit par la Constitution, la RDC vogue à l’aventure. Avec des tragédies mortelles, criminelles qui démontrent l’irresponsabilité de ceux qui prétendent gouverner le pays en voulant juste se pérenniser au pouvoir avec le seul projet de leurs intérêts personnels. Devant le fait accompli de cette rupture du processus de démocratisation, les tentatives de dialogue qui ont suivis traduisaient pourtant le désir de créer un cadre consensuel pour guider le pays dans une transition négociée et acceptée par tous. Mais ces dialogues ont abouti à mettre en évidence les limites de notre personnel politique.

 

D’un côté, certains dans l’opposition ont trouvé là un cadre propice pour mieux se vendre au mieux offrant, tandis que l’autre camp, celui du pouvoir, s’est enfermé dans l’arrogance de ceux qui ont l’argent et le fusil. Le manque de culture générale, dans le sens de l’action politique citoyenne, a traversé toute la société, de la cité au clergé, de la société dite « civile » aux mercantilistes politiques. Cette ligne commune a mis à nue nos insuffisances et incapacités collectives à nous construire, en tant que peuple, autour de la haute idée d’une nation démocratique en construction ou d’un Etat en démocratisation.

 

La nouvelle ère, que vous évoquez si bien, celle du « Débout congolais », celle du « Congo à venir », celle du Congo de Patrice Lumumba, ne pourrait se faire à la suite de ces démarches mercantilistes et assassines, qui ne respectent ni les principes humanistes ni l’honneur d’une parole donnée ni la fierté de sa signature, de sa propre personne, ni la conclusion d’un accord soit-il bancale. Nous sommes tous, collectivement, responsables et victimes de la faillite de notre pays.

 

Que reprochez-vous aux politiciens rd-congolais ?

La classe politique de notre pays est moralement défaillante depuis l’indépendance, en 1960. Elle a été nourrie par l’ancien colonisateur de l’idéologie selon laquelle le pouvoir c’est l’argent. C’est une classe politique corrompue culturellement, intellectuellement et spirituellement. Son idéologie a pour socle le Mobutisme. Elle a été exacerbée par Laurent Kabila, et a atteint son apogée, maintenant.

En l’état actuel, nos politiciens congolais ne peuvent qu’apporter la désolation et la misère. Même ceux qui se disent opposants, mais qui ne sont que des mobutistes culturels ou des dissidents de la mangeoire du pouvoir actuel, n’expriment nullement un projet cohérent de développement démocratique du pays. Ils sont, presque tous, affûtés pour la perpétuation du régime qui les a fabriqué, formaté, nourri et engraissé financièrement. Si je crois que nous sommes tous, collectivement, responsables et victimes de la faillite de notre pays, c’est pour aussi dire que nous ne pouvons avancer dans la bonne direction si nous sommes fragmentés, divisés, tribalisés et instrumentalisés, si nous sommes victimes et bourreaux en même temps.

 

Ce qui manque au politicien congolais, c’est l’ambition de penser le pays en grand, avec grandeur, pour ne pas se satisfaire de se niveler constamment vers le bas. Le Congo a besoin des politiciens et gouvernants qui ont des rêves et des ambitions pour porter la collectivité nationale plus haut que leurs propres plafonds, capables de cueillir les étoiles du ciel et de les offrir au peuple. Des politiciens qui ont du muscle au cerveau et au cœur.

 

Pour le Président de la Guinée et président de la Commission de l’Union Africaine, le développement du continent dépend de la RDC. Partagez-vous cette opinion ?

Il n’est pas un secret que le Congo, au cœur de l’Afrique, est aussi au cœur de son développement. Tous les éléments sont pourtant réunis pour faire du Congo le moteur de l’Afrique – par sa géographie, les richesses de son sol et de son sous-sol, par ses ressources humaines, par son écosystème et autres potentialités. Mais malheureusement, par notre aliénation coloniale et postcoloniale, nous, le peuple du Congo, ressemblons à un peuple castré culturellement, spirituellement et intellectuellement.

 

A la suite du colonisateur, Mobutu a très bien fait le boulot pour lequel l’Occident l’avait engagé : en finissant de désacraliser et de caporaliser le pouvoir coutumier, gardien des ancêtres, il a dévertébré, détruit  et déconstruit l’Etre congolais pour n’en faire que cette enveloppe humaine moulée dans l’inopérant « paraître zaïrois ». Après lui, là où le peuple pouvait bénéficier d’une rédemption et d’une transition de redressement moral, Laurent Kabila est venu donner le coup fatal par son incapacité à conduire une véritable révolution du changement.

 

Le 30 juin 2017, la RDC célébrera ses 57 ans d’indépendance. Quel est votre souhait ?

J’espère toujours le mieux pour mon pays. La majorité de Congolais l’espère aussi. Bien sûr 57 ans c’est peu et beaucoup en même temps, pour éclairer le devenir d’un pays meurtri sans tenir compte des forces du monde qui ont des bénéfices à tirer dans notre pays. Toutefois, je ne peux désespérer de la matérialisation positive du Congo à venir, du « pays plus beau qu’avant ». Pour mieux construire le Congo, comme Etat de droit, il nous faudrait réfléchir et changer radicalement notre rapport à l’argent, faire que la relation entre les gouvernants et la gestion financière ne soit plus malsaine comme c’est le cas, éliminer la corruption en valorisant la prime à l’excellence, donner un sens au travail et au salaire du labeur, rétablir la justice en séparant véritablement les pouvoirs.

 

Transformer le statut du politicien pour en faire un acteur positif, et de respectabilité citoyenne. Sauver le peuple des griffes maléfiques des charlatans et autres prophètes de malheur en lui donnant la chikwangue quotidienne, qu’il mérite, au lieu du pain hypothétique de l’au-delà ! Et mettre le peuple au centre de tout projet politique, en comprenant bien que le peuple c’est la culture. La culture de tout : de l’Etat de droit au droit du citoyen. Et avec le peuple, pour le peuple, corriger par des mécanismes de solidarité nationale, les erreurs et les égarements du passé.

 

Se doter d’une politique républicaine de l’Education nationale. Mais surtout, revoir notre relation à l’argent facile, à l’argent de l’Etat. Et, enfin, pour « oser inventer l’avenir », comme dirait Thomas Sankara.

 

 

Dans 3 ans, votre pays totalisera 60 ans avec un sous-sol très riche et un sol fertile, mais une économie très instable et une population très pauvre. Pensez-vous qu’elle sera capable de dresser son front longtemps courbé ?

Oui 60 ans… 60 ans de gâchis ? 60 ans de remise en question ? 60 ans pour prendre un plus bel élan ? Actuellement, au Congo, il n’y a d’économie que le mot, les slogans de bonimenteur. Le pays n’est pas gouverné, il est exploité, paupérisé, torturé, assassiné, affamé, déshumanisé. Pourquoi ? Parce que ceux qui prétendent le gouverner actuellement ne se situent ni philosophiquement ni sociologiquement dans son histoire ni dans son miroir. Ils ne sont que les reflets d’eux-mêmes. Le pays est leur « chose », comme se le disait si bien le funeste Mobutu. Nous pouvons dire que la RDC, comme pays et Etat, représente actuellement la faillite la plus retentissante de tous les pays africains depuis les indépendances.

 

Regardons, sans état d’âme, autour de nous. Et pourtant, je crois que tout cela sera balayé, que du fin fond du sein matriciel du pays se lèvera la voix et la force de ceux qui savent la grandeur du Congo, de ceux qui portent le serment de Matala Mukadi, le poète maudit du Congo éternel : « si je trahis cette terre, terre Kongolaise, que la foudre et le feu pulvérise mes os ». Les turbulences du moment annoncent-elles le temps de la foudre et du feu ? Qu’importe le temps… L’avenir du Congo, nous dit Patrice Lumumba, appartient aux Congolais, et il sera beau.

 

Dans plusieurs bureaux et salons stratégiques de l’Occident, plusieurs problèmes du monde préoccupent plusieurs leaders. Pourquoi les morts de la RDC de ces 20 dernières années ne sont pas évoquées ?

Si personne ne t’entend pleurer tes morts, pourquoi demandes-tu à l’autre d’en avoir la compassion ? L’Occident, comme les politiciens du Congo, s’en foutent des morts du Congo fussent-ils des millions. Seuls les milliards de dollars du Congo comptent. Un Congo faible, mal dirigé par des gens que l’on tient d’une main et qui ont un pied à la CPI, est un Congo que l’Occident veut. Même les pays voisins travaillent pour un Congo faible, sous-développé, qui est leur risée. Que faire ? Nous avons besoin d’une transition civile, apolitique et responsable pour positionner le pays sur les rails du développement véritable, en mettant le peuple – son bien-être, son éducation et sa culture, au centre du projet politique. Un centre inamovible, de la circonférence nationale dont tous les points sont à la même distance du centre : la justice, car sans justice il n’y a pas de paix, pas de développement, pas de joie durable même pour ceux qui s’empiffrent à la mangeoire du moment. Et ne comptons pas sur d’autres ni la Monusco. La première mission des Nations unies est arrivée dans notre pays à la demande de Patrice Lumumba suite à la sécession katangaise. Et, incroyablement et dans la complicité de cette fameuse et mafieuse « communauté internationale », cette mission des Nations Unies s’est opposée au gouvernement de Lumumba et a appuyé les sécessionnistes du Katanga.

 

Cela fait cinq décennies que nous assistons à la faillite des missions des Nations Unies dans notre pays. Ne soyons pas naïfs de demander à un fonctionnaire international, qui est au Congo pour gagner le salaire de sa vie, de se sacrifier pour le Congo alors que les Congolais eux-mêmes ne respectent ni leur population ni leurs lois ni leur constitution, s’insultent, se maudissent, se font mendiant, se vendent, s’empoisonnent, s’entretuent. Parfois, je me dis, devant ce tragique spectacle de mon pays, que la majorité de Congolais est indécolonisable.

 

Selon l’émission « Cash Investigation » de France2, le coltan, le cobalt et autres minerais intéressent l’industrie du téléphone portable et aéronautique. En tant que célébrité congolaise, pourriez-vous mener un lobbying pour que Apple, Samsung, Huawei, Microsoft, Sony s’installent dans votre pays afin que les tueries à répétition cessent au Kivu et que l’économie de la RDC redécolle?

A travers le monde, dans des salons où les élites culturelles conversent et refont le monde, c’est toujours pénible d’être confronté à la question congolaise. C’est une situation qui fait mal, très mal à l’aise. Mais je ne suis pas dans le déni de la réalité, qui est devenu chose commune à Kinshasa, même si le constat venant du regard des autres fait plus mal même s’il n’est pas différent du mien propre.

 

Je redis que le Congo n’est pas gouverné mais exploité. Pour certains il n’a plus le statut d’un Etat mais celui d’un territoire, comme un marché à ciel ouvert. Cela fait rire le monde quand on entend les thuriféraires du pouvoir de Kinshasa crier à l‘ingérence, à la souveraineté… Tous ces slogans creux d’un nationalisme de circonstance qui nivellent encore davantage vers le bas ce qu’il nous reste de peu de fierté bantu. Les gouvernants de Kinshasa, comme tous les individus atteints du syndrome d’hubris (la maladie du pouvoir),  souffrent de la précarité liée à leur illégitimité et à leur incompétence à donner des solutions de développement positif au pays,  à leur manque de culture générale, se vendent et vendent le pays au plus offrant de l’industrie occidentale.

 

Et le capitalisme, qui se nourrit de la loi de l’offre et de la demande, s’entend bien avec les politiciens africains dès lors qu’ils actent comme des serviles et bons gardiens des mines et des plantations.

CINARDO KIVUILA