Sindika Dokolo : « Je ne supporte pas la barbarie qui sévit en RDC »

La violence qui frappe le grand Kasaï a des conséquences au-delà des frontières de la République démocratique du Congo. L’Angola, voisin qui partage plus de 2000 kilomètres de frontière avec la RDC, est particulièrement touché par cette crise. Des dizaines de milliers de Congolais fuient la violence et la misère qu’elle induit et tentent de s’y réfugier, créant une nouvelle crise humanitaire qui risque de déstabiliser ce voisin.

Ce mardi, 200 tonnes d’aide humanitaire ont commencé à parvenir à ces milliers de Congolais qui ont tout perdu dans cet exil forcé. Derrière ce geste, on retrouve Sindika Dokolo, quadra Congolais, époux de la fille du président angolais Eduardo Dos Santos, collectionneur d’art et homme d’affaires protéïforme. L’homme a toujours refusé de reconnaître qu’il a la moindre once d’ambition politique dans son pays. « Le Congo n’a vraiment pas besoin d’un candidat en plus. Des hommes politiques il y a en bien assez. En posant ce geste, c’est d’abord une manière d’aider mes compatriotes qui ont tout perdu, c’est aussi, et peut-être surtout, une manière de marquer mon écoeurement par rapport à ce que traverse mon pays. »

Interview

  1. Dokolo, en quoi consiste cette aide ? 

Ce sont essentiellement des produits alimentaires (riz, farine, huile,..). Les besoins sont tellement immenses et tellement soudains. On est face d’un véritable exode massif. Face à un nombre de personnes qui ont tout perdu qu’on ne pouvait jamais imaginer. L’Angola fait tout ce qu’il peut mais les moyens sont insuffisants face à cette crise humanitaire. Je me rends bien compte que ce que je fais n’est qu’une goutte d’eau mais je ne pouvais pas rester immobile face à ce déchaînement de misère. Dans un second temps, j’enverrai des produits de santé car les besoins sont aussi gigantesques dans ce secteur. »

Quel a été le déclencheur qui vous a poussé à faire ce geste? 

« Le ras-le-bol . Je ne supporte plus la barbarie quotidienne qui sévit en RDC. Cette région, je la connais. J’ai grandi au Zaïre. Il y avait parfois de la violence, tout n’était pas toujours rose, mais quand quelque chose n’allait pas, il y avait une réaction. Aujourd’hui, des milliers de cadavres s’entassent. Les viols et les exactions de tout type sont devenus de simples statistiques macabres. Il n’y a plus la moindre dimension humaine. C’est absolument inacceptable. Nos actuels responsables politiques, ceux qui sont aux affaires, devraient donner une réponse à cette crise. Or, ils semblent jouer un rôle soit neutre et donc irresponsable, soit, et c’est bien pire, ils instrumentalisent ces catastrophes, ces tragédies humaines. Les présomptions sont lourdes lorsqu’on met en parallèle l y a juste un constat entre l’enchaînement des tragédies et le calendrier politique de la RDC.

Combien seraient-ils

On n’a pas de chiffres précis. C’est un exode constant. Je ne veux pas donner dans la surenchère. Ils sont au moins 35000 et j’ai le sentiment que, malgré le voyage du Président Kabila au Kasaï de ce jour, toute cette crise semble être délibérément orchestrée pour déstabiliser une région. Le parallèle avec ce qui s’est passé à Beni, au nord-est, est assez frappant. 

L’Angola peut-il faire face ? 

C’est un afflux très important aux portes d’un pays qui lui-même vit une crise économique et qui est en période préélectorale.  Deux éléments qui compliquent encore la donne.

A qui attribuez-vous la responsabilité de cette crise ?

Lorsqu’on prend du recul et qu’on met les faits les uns à la suite des autres, il est difficile de penser qu’il n’y a pas une volonté délibérée de créer les conditions d’une crise sous-régionale. C’est par exemple le fait qu’il n’y a plus le moindre échelon de pouvoir légitime en RDC. Tous les élus – à commencer par le Président de la République – ont été rattrapés par la limite de leur mandat dans le temps. C’est le fait que tout a été orchestré depuis trois ans pour ne pas aller aux élections, ou encore le fait qu’on reparle de référendum, ou encore le fait que l’on découvre que deux experts civils de l’Onu ont été assassinés et que leur exécution pourrait conduire les Nations Unies à se retirer du processus électoral. Tout indique qu’il s’agit bel et bien d’une stratégie de la terre brûlée. Si tel était le cas, et face au bilan humain, cela pourrait – j’utilise bien le conditionnel – relèver de la Justice internationale ou de la Cour Constitutionnelle qui seule peut établir les éléments constitutifs du crime de haute trahison. Il est dramatique de pouvoir penser que des hommes politiques pourraient instrumentaliser la mort de Congolais et de civils étrangers à des fins politiques.

Vous ne pensez donc pas que les Kamuina Nsapu soient les responsables de cette situation ?

Les Kamuina Nsapu, ce sont à la base des villageois qui appartiennent à une secte politico religieuse. Point. Aujourd’hui, on découvre que ce mouvement s’est transformé subitement en force armée avec des objectifs quasi militaires. Ce n’est pas très crédible. Je me rends compte que c’est une accusation terrible mais un moment donné, le gouvernement de Kinshasa doit assumer toutes ses responsabilités et faire la lumière sur ces agissements.

Des réponses un peu trop faciles ?

Il est curieux qu’à chaque fois qu’on commet des meurtres ou des exactions ou qu’on découvre des fosses communes, le gouvernement trouve une réponse rapide qui doit éteindre l’incendie. La dernière trouvaille concerne ce douloureux dossier de l’assassinat des deux jeunes experts de l’Onu. A en croire le gouvernement, plus besoin d’enquête tout est arrangé, ils ont trouvé le coupable. Il en est des mêmes des images filmées, des crimes de masse, des femmes violées. Inutile d’enquêter la justice congolaise gère le dossier. C’est insupportable de constater à quel point, au Congo, la vie humaine ne représente plus grand-chose.

On a parfois le sentiment qu’on est entré dans une guerre civile qui n’ose pas porter son nom ? 

C’est malheureusement exact. Quand on voit les images du Kasaï ou de Beni, on constate que certains attisent et exploitent les clivages qui existent entre les Congolais. Il faut oser parler de guerre civile larvée. 

Comment peut-on agir pour éviter que cela s’embrase encore plus ? 

La réponse est difficile quand vous êtes face à une stratégie de conservation du pouvoir à tous prix. On l’a vu avec le président Mobutu de 1991 à 1997. Comment aujourd’hui ne pas s’étonner des relations qui se sont tissées entre le pouvoir et un criminel reconnu comme Gédéon Kyungu ? Quel objectif le gouvernement peut-il poursuivre avec un tel personnage alors que dans le même temps il maintient Franck Diongo ou Jean Claude Muyambo en prison et organise comme l’ont révélé les évêques une parodie de procès pour forcer à l’exil Moise Katumbi ? Que je sache, ni l’un ni l’autre n’ont jamais tué ou versé la moindre goutte de sang d’un de leurs compatriotes ! Personne de respectable ne peut s’acoquiner avec un criminel de cette espèce sans avoir des projets vraiment malsains. Il faudra bien que les actes de ce pouvoir soient un jour scrutés, analysés et jugés. C’est une fuite en avant inacceptable. Il faut la dénoncer. Il faut dénoncer cette mascarade.

Y voyez-vous un risque pour la sous-région ?

Il y aura un prix humain à payer. Les actes que l’on pose aujourd’hui produiront inévitablement leurs effets dans quelques années. La RDC d’aujourd’hui me fait penser à l’Irak des années 90. On en paie toujours les conséquences avec la déstabilisation du Moyen-Orient, la naissance de l’Etat islamique. Chez nous, au Congo, on a des régions plus grandes que beaucoup de pays européens où des enfants n’ont connu que la guerre, la violence et le non-droit. Comment les récupérer et les réintégrer dans une vie normale ? Combien de temps faudra-t-il ? Ceci n’est pas que le problème du Congo. Ce qui s’est produit en Irak n’a pas que des conséquences pour les Irakiens. Et si l’on y prend garde, le Congo peut devenir demain un foyer de déstabilisation que nous aurons laissé grandir. Il est encore temps d’agir si nous voulons éviter la catastrophe.

Mais que faire? 

En premier lieu, nous devons retrouver notre capacité d’indignation. Il faut s’indigner ! Chacun doit en parler. Tout ce qu’on a évoqué, ce sont des crimes de l’ombre. Il faut que nous ayons le courage de les dénoncer. Jeter un halot de lumière dessus c’est les déstabiliser à leur tour.

Sera-ce suffisant ?

C’est en tout cas nécessaire. Il ne faut pas fermer les yeux. Il ne faut pas complètement isoler ce pays. Je suis d’accord avec George Chikoti, le ministre angolais des Affaires étrangères. Il prône une position entre le Congo et l’Angola qui allie proximité et exigence. Il ne ferme pas la porte mais il martèle la nécessité d’établir la vérité des faits, l’importance de respecter les lois, d’organiser les élections, de ne pas permettre au président de se représenter. Il est vraiment important que tout le monde – tant à l’intérieur de nos frontières qu’au niveau régional et international – puisse être critique et constructif.

HUBERT LECLERCQ (LALIBRE.BE)

 

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