Entre le début des années 1980 et la fin des années 1990, Kinshasa a connu une effervescence musicale sans précédent, marquée par la naissance de dizaines d’orchestres de quartier. Chaque commune vibrait au rythme de ses propres étoiles montantes. Mais parmi cette myriade de formations prometteuses, un seul groupe réussira à dépasser les frontières des communes et des années : Wenge Musica BCBG Tout Terrain 4×4.
De la poussière de Bandalungwa à la conquête du monde, Wenge deviendra le plus grand phénomène musical rd-congolais depuis Zaïko Langa-Langa.

Kinshasa, capitale musicale à l’époque des quartiers-orchestres
Dans les années 1980 et 1990, Kinshasa n’était pas seulement la capitale politique du Zaïre, mais également son cœur culturel. Dans chaque commune, des jeunes, portés par l’ambition, le talent et l’énergie de la rue, montent des formations musicales souvent improvisées, mais bouillonnantes de créativité.
À Kalamu et Matonge, berceaux historiques de la rumba, des groupes comme Les Fleurons, JBC Musica, Il Fallait Kaka et Litonge Bouge font danser les rues et les parcelles. Dans les bars, sur les podiums improvisés et lors des “nzoto parties”, ces orchestres régalent le public avec des rythmes endiablés.
À Bandalungwa, une commune au passé musical glorieux, l’offre est pléthorique. De Station Japana à ACT Banzayi, en passant par Pergola Sommet Sommet, les jeunes musiciens s’affirment. Mais c’est ici, dans cette commune rebelle et fière, que naîtra la légende : Wenge Musica.

Une effusion musicale décentralisée
Chaque commune de Kinshasa devient une scène à part entière. À Lingwala, Eden Musica et Véritable Eden instaurent une rivalité saine autour de la créativité et de l’originalité. Dans le Centre-ville – Gombe -, Tout Chic Gombe et Chic Golf défendent la finesse et l’élégance musicale.
Dans la commune de Ngaba, Les Embowassa impriment un style percutant et engagé, pendant que Flash Musica et Monticule Musica enflamment les nuits de Ngaliema, accompagnés plus tard par Shata Musica.
Lemba, autre grande école du son rd-congolais, offre au public Lavioniora Esthétique, Lemba Musica, et Lokole Ensuite. À Kintambo, des groupes comme Bana Odéon, Station Babylone, et Swede-Swede rivalisent d’ingéniosité pour se faire une place dans l’arène musicale.
Même les quartiers souvent peu médiatisés comme Ngiri-Ngiri et Masina participent activement à cette effervescence grâce à Tufuray Musica, GBC Musica, Staff London, et Tambours Les Valois. N’Djili ne reste pas en marge, avec des formations telles que Select Musica et Choc Bantou.
La ville entière respire la musique. Chaque quartier devient un vivier de talents. Les instruments sont parfois rudimentaires, les studios rares, mais la passion, elle, déborde.
Wenge Musica : La mue d’un groupe de Bandal en légende nationale
C’est dans cette jungle musicale que naît Wenge Musica à Bandalungwa, à la fin des années 1980. Fondé par des jeunes lycéens – notamment JB Mpiana, Didier Masela, Blaise Bula, Alain Makaba et Werrason – le groupe se distingue d’abord par ses compositions au style très urbain, en phase avec les attentes de la jeunesse kinoise.
Dès leurs premières apparitions, les jeunes de Wenge proposent un savant mélange de rumba modernisée, de ndombolo naissant et de messages sociaux portés par une énergie contagieuse. Leur look, inspiré du hip-hop et du style parisien, séduit immédiatement. Leurs chorégraphies sont dynamiques, calculées au millimètre. Le son est percutant, les animations vocales novatrices. Le “Wenge Style” est né.
Alors que la plupart des groupes de quartier disparaissent au fil des années, faute de moyens, de management structuré ou simplement de stabilité interne, Wenge Musica, lui, monte en puissance.

Un phénomène qui dépasse les frontières
Le début des années 1990 marque l’explosion du groupe. Les albums “Bouger Bouger”, “Kala-yi Boeing ”, puis “Pentagone” deviennent des succès intergénérationnels. La scène de Kinshasa est conquise. Bientôt, c’est tout le pays, puis l’Afrique centrale, puis l’Europe. Wenge El (Aile) Paris, la première défection en 1992 avec le chanteur Marie Paul, Ricoco Bulambemba et Zing Zong, tous deux guitaristes, puis rejoint par le chanteur à la voix aiguë Manda Chante.
Le groupe, scindé plus tard en deux entités majeures (décembre 1997) – Wenge BCBG de JB Mpiana et Wenge Maison Mère de Werrason – deviendra la locomotive d’une nouvelle vague musicale rd-congolaise. Chaque entité engendrera à son tour des générations d’artistes à succès : Ferré Gola, Pay Kakol, Bill Clinton Kalonji, Jus d’Été Mulopwe, Didier Lacoste, Flamme Kapaya, Baby Ndombe, Adjani Sesele, Céléo Scram, Héritier Wata … – 1ère génération – et Thaddé de Monticulé, Le Baugard, Fabregas, Robinio Mundibu, Café Roum, et tant d’autres.
Le phénomène Wenge dépasse le simple cadre d’un groupe. C’est une école. Une institution. Un label. Une marque qui continue de peser dans l’imaginaire collectif rd-congolais. Un comportement, pour officialiser le phénomène « 12 ».
Pourquoi Wenge a survécu : quelques éléments clés
1. La vision collective
Contrairement à d’autres groupes de quartier, Wenge était bâti sur une idée claire de conquête. Les membres fondateurs avaient une vision commune, une ambition au-delà des répétitions de parcelle.
2. Le sens du travail et de la discipline
La rigueur de répétitions, la préparation des spectacles, l’implication dans la composition des chansons – Wenge s’est toujours comporté comme un orchestre professionnel dès ses débuts.
3. Le soutien populaire et médiatique
Grâce à une base de fans solide à Bandalungwa, puis à Kinshasa, et l’appui des médias comme RTNC, Antenne A ou Tropicana, Wenge a su capitaliser sur sa notoriété croissante.
4. Une adaptabilité rare
Au fil du temps, le groupe a su renouveler ses styles, intégrer de nouvelles tendances, et séduire aussi bien les jeunes urbains que le public rural.

Une exception devenue norme
Aujourd’hui, plus de 30 ans après sa création, Wenge Musica demeure un phénomène sans égal dans l’histoire musicale de la RD-Congo. Là où tous les autres orchestres de quartier se sont éteints ou ont fondu dans l’oubli, Wenge a survécu, évolué, explosé, et influencé des générations entières.
Il n’est pas exagéré de dire que depuis Zaïko Langa-Langa, aucun groupe n’a autant marqué la musique rd-congolaise. Wenge Musica n’a pas seulement survécu – il a régné, et règne encore, dans les cœurs et dans les playlists.
Kinshasa, ville de mille talents, peut être fière. Car de ses quartiers, de ses rues, de ses parcelles, est né un géant.
CINARDO KIVUILA
DIDI MITOVELLI (CP)