Christophe Mputu, champion du monde de Ju-Jitsu qui porte haut les couleurs de la RDC malgré l’indifférence nationale

De ses débuts au karaté à ses exploits mondiaux en Ju-Jitsu, le rd-congolais Christophe Mputu a tracé un parcours exceptionnel, marqué par des sacrifices et une fidélité indéfectible à sa mère patrie, la République Démocratique du Congo.

Champion du monde, multiple vainqueur international et sportif le plus titré de l’histoire rd-congolaise dans sa discipline, il déplore pourtant le manque de reconnaissance et de soutien de son pays, alors qu’il est célébré et respecté à l’étranger. Son rêve est de former une nouvelle génération et bâtir un véritable écosystème pour le Ju-Jitsu en Rd-Congo. Entretien.

Comment Christophe Mputu a-t-il découvert le Ju-Jitsu et quels ont été ses premiers pas dans cette discipline avant d’atteindre la scène internationale ?

Au départ, j’ai commencé par le karaté. Ensuite, je me suis orienté vers le Ju-Jitsu.
Pourquoi ce choix ? Parce que j’ai trouvé que c’était un sport complet. Il combine plusieurs disciplines : le karaté, le judo, l’aïkido et même le Ju-Jitsu brésilien. Ce mélange m’a vraiment plu, et c’est ce qui m’a poussé à m’y consacrer.

J’étais très jeune à l’époque, mais il n’existait pas encore de compétitions officielles de Ju-Jitsu. La discipline avait été suspendue au niveau international en raison de sa dangerosité – autrefois, c’étaient de véritables combats à mort, avec beaucoup de blessés graves et même de décès. On le pratiquait donc surtout comme un art de self-défense.

Quand je suis arrivé en Europe, les compétitions avaient repris avec de nouvelles règles. En Belgique, où je me suis installé en 2002, j’ai continué à pratiquer, puisque j’étais déjà initié au Congo au Ju-Jitsu, au karaté et au judo. En 2006, j’ai participé à ma première compétition officielle en Ju-Jitsu et en judo. C’est à partir de là que ma carrière compétitive a réellement démarré.

Quelles sont vos plus grandes victoires et distinctions remportées à l’échelle mondiale, et en quoi ces exploits placent-ils la RDC sur la carte du Ju-Jitsu international ?

Mes plus grandes victoires sont notamment : une médaille d’or de champion du monde, un titre de champion d’Afrique, plusieurs victoires dans des tournois internationaux de haut niveau, ainsi que 19 titres de champion de Belgique.

Tout cela m’a permis d’être reconnu sur la scène internationale et de faire connaître la République Démocratique du Congo dans ce sport. Grâce à mes performances, notre pays a même été classé troisième au monde.

Quelles difficultés avez-vous rencontrées en vous expatriant en Belgique pour poursuivre votre carrière, notamment en matière de formation, d’entraînement et de compétitions ?

Au début, les belges m’ont beaucoup aidé, même si je n’avais pas leur nationalité. Ils m’emmenaient partout dans le monde pour combattre. Mais comme j’étais congolais, mes victoires mettaient en avant le Congo et non la Belgique. Cela posait problème.

Ils m’ont alors demandé de faire un choix : soit représenter la Belgique, qui me soutenait financièrement, soit représenter le Congo, mais à mes propres frais. J’ai choisi de rester fidèle à mon pays. Cela a créé des tensions, car la Belgique finançait tout, mais voyait son nom éclipsé par le Congo. Finalement, ils ont arrêté de me soutenir.

Je suis resté bloqué pendant environ sept ans. J’ai sollicité le ministre des Sports et la Fédération de l’époque, mais les promesses faites n’ont jamais été tenues. J’ai alors décidé de financer moi-même mes voyages pour continuer à représenter la RDC. La Fédération internationale, qui connaissait déjà mes capacités, ne m’a pas fermé les portes.

C’est ainsi que je suis devenu le premier sportif congolais pratiquant des arts martiaux à remporter une médaille d’or de champion du monde pour son pays.

Pourquoi Christophe Mputu reste-t-il peu connu du grand public congolais malgré sa notoriété sur la scène mondiale ?

C’est une question difficile. Ce n’est pas de mon ressort. Si les journalistes ne parlent pas de moi, si les médias ne relaient pas mes exploits, je ne peux pas les forcer.

Je continue mon chemin, je partage mes victoires sur mes pages sociales et ceux qui m’apprécient relaient l’information. Cela me suffit, je ne vais pas courir derrière les gens pour les supplier.

J’ai contacté plusieurs grands journalistes au Congo. Certains m’ont ignoré, d’autres se sont même fâchés qu’on leur ait donné mon numéro. Donc, je n’insiste pas.

En dehors du pays, par contre, je suis respecté. Les gens me reconnaissent, viennent prendre des photos avec moi, me félicitent et me présentent comme un modèle pour leurs enfants. Comme on dit souvent, « nul n’est prophète chez soi ».

Quelles sont, selon vous, les principales raisons pour lesquelles le gouvernement de la RDC ne soutient pas financièrement ou matériellement votre carrière ?

Franchement, je ne sais pas. Chaque fois que j’ai une compétition, je dépose mes documents. Mais si ça traîne ou si je n’ai pas de réponse, je ne peux rien faire de plus. Je ne suis pas dans la tête des autorités pour savoir pourquoi il n’y a pas de suivi.

Comment évaluez-vous la différence de soutien entre les athlètes rd-congolais et ceux d’autres pays africains ou européens bénéficiant d’un accompagnement étatique ?

La différence est énorme. Si j’avais accepté de représenter la Belgique ou un autre pays qui m’a sollicité, j’aurais eu le statut de sportif de haut niveau. Cela veut dire être payé par l’État, s’entraîner dans de bonnes conditions, avoir un coach, un médecin, et recevoir des primes à chaque compétition.

Chez nous, ce système n’existe pas. J’ai vu par exemple comment les athlètes angolais sont traités. Avant leurs compétitions, ils dînent avec leur président. À leur retour, médaille ou pas, ils sont reçus et récompensés.

Pour ma part, je suis le sportif le plus titré de l’histoire du Congo dans ma discipline, mais je n’ai jamais bénéficié d’un tel soutien. J’espère qu’un jour cela changera.

De quelle manière souhaiteriez-vous mettre votre expérience et votre expertise au service du développement du sport et du Ju-Jitsu en RDC ?

C’est un de mes projets prioritaires. Après ma carrière, je voudrais transmettre mon expérience, pourquoi pas en devenant entraîneur national, pour préparer la relève.

Je suis déjà professeur de Ju-Jitsu en Belgique, à l’ULB, où j’enseigne même à des policiers et militaires. Ce sport est d’ailleurs recommandé aux forces de l’ordre. J’aimerais mettre en place un système similaire en RDC, pour nos jeunes, nos policiers et nos militaires.

J’ai déjà soumis des projets et des documents au gouvernement, mais j’attends toujours un retour.

Quel message adressez-vous aux institutions congolaises, aux sponsors privés et aux partenaires potentiels pour mieux valoriser les athlètes congolais évoluant à l’international ?

Nous avons réellement besoin de sponsors. Voyager et participer aux compétitions avec mes propres moyens est très difficile : billets d’avion, hôtels, frais d’inscription… tout cela coûte très cher.

Un sponsor peut changer la donne. Dans d’autres pays, les athlètes sont soutenus par de grandes marques, ce qui les motive davantage.

Moi, je pars souvent seul, sans coach, sans médecin, sans équipe. Pourtant, un sportif de haut niveau devrait être entouré. Il m’arrive d’arriver la veille d’une compétition, épuisé par le voyage, sans avoir dormi, et de devoir tout gérer moi-même avant d’entrer sur le tatami.

Avec un accompagnement, je pourrais aller encore plus loin et continuer à porter haut les couleurs du Congo.

CINARDO KIVUILA