Loi Muyaya : Une urgence de vulgarisation auprès des juristes pour une justice alignée sur la nouvelle ère médiatique en RDC

Adoptée le 13 mars 2023, l’ordonnance-loi portant régime spécial de la presse en République Démocratique du Congo, plus connue sous le nom de « Loi Muyaya », marque un tournant historique pour le paysage médiatique congolais. Mais un constat s’impose, deux ans après sa promulgation : une grande partie des acteurs judiciaires, (magistrats, avocats, OPJ…), ne maîtrisent toujours pas les innovations et principes fondamentaux de ce texte novateur. Cette méconnaissance constitue un risque pour les journalistes, la liberté d’expression, mais aussi pour la crédibilité de la justice congolaise.

La Loi Muyaya, portée par le ministre de la Communication et Médias, Patrick Muyaya, et initiée dans le cadre de la réforme globale du secteur de la presse, a été largement saluée par les organisations professionnelles des médias, les partenaires internationaux et les défenseurs des droits de l’homme. Elle remplace un texte obsolète datant de 1996, en intégrant les standards modernes de liberté de la presse, de régulation des médias numériques, et de protection juridique des journalistes.

Mais force est de constater que la portée de cette réforme reste encore largement ignorée dans les prétoires. Des décisions de justice continuent d’être rendues sur base de lois abrogées ou en contradiction avec les principes de la Loi Muyaya, exposant ainsi le pays à des violations graves de droits fondamentaux.

Des conséquences préoccupantes

Les journalistes rd-congolais font encore l’objet de poursuites abusives, de détentions arbitraires ou de condamnations fondées sur une lecture erronée ou encore  dépassée du droit applicable. Dans plusieurs cas, des magistrats ignorent que certaines infractions ont été dépénalisées ou que de nouveaux mécanismes de régulation non-judiciaires (comme la saisine de l’ARCOM) doivent être privilégiés.

Cette situation est préjudiciable à plusieurs niveaux :
• Elle fragilise l’État de droit et mine la confiance des citoyens à l’égard de l’appareil judiciaire,
• Elle empêche l’épanouissement de la liberté de la presse, pourtant essentielle dans un État démocratique,
• Elle expose le pays à des condamnations internationales pour violation de la liberté d’expression.

Les cas les plus récents sont les arrestations arbitraires par la police de la journaliste et directrice générale du média en ligne Eventsrdc.com, Glody Ndaya et du journaliste Espérant Kasongo de Siloé TV.

Les juristes, des acteurs incontournables de la mise en œuvre de la loi Muyaya

Il est fondamental de comprendre que la Loi Muyaya ne peut produire ses effets que si les acteurs judiciaires la comprennent, l’intègrent et l’appliquent. Les magistrats, avocats, officiers de police judiciaire, greffiers, mais aussi les membres du Conseil supérieur de la magistrature doivent être au centre d’un vaste processus de vulgarisation juridique.

La Loi Muyaya introduit des notions juridiques nouvelles qui nécessitent une mise à niveau de la formation juridique en RDC. Parmi les concepts clés figurent :
• Le droit d’opposition au droit de réponse ;
• La responsabilité éditoriale partagée entre auteur, éditeur et hébergeur ;
• Le cadre légal de la presse en ligne ;
• La hiérarchie des sanctions administratives avant la voie pénale ;
• La protection des sources d’information.

Une responsabilité partagée

Le ministère de la Communication et Médias, le ministère de la Justice, l’Ordre national des avocats, les cours et tribunaux, les facultés de droit, mais aussi les ONG spécialisées dans la défense de la liberté de la presse ont tous un rôle à jouer dans cette vulgarisation. Il ne s’agit pas d’un simple exercice pédagogique, mais d’une exigence démocratique.

Parmi les actions urgentes à envisager :
• L’organisation de séminaires de formation continue pour les magistrats et avocats sur la Loi Muyaya ;
• L’intégration de la nouvelle législation sur la presse dans les curricula des facultés de droit ;
• La publication de guides pratiques et fiches juridiques à destination des praticiens du droit ;
• L’harmonisation des pratiques judiciaires par des notes circulaires du Conseil supérieur de la magistrature.

Former pour garantir la liberté

La modernisation du cadre juridique de la presse en RDC, incarnée par la Loi Muyaya, constitue une avancée majeure dans la construction d’une société démocratique et pluraliste. Mais cette avancée reste théorique si elle n’est pas comprise et appliquée par ceux qui disent le droit au quotidien.

La vulgarisation auprès des juristes ne doit plus être une option, mais une priorité. Il en va de la liberté de la presse, de la sécurité des journalistes, et de la crédibilité du système judiciaire congolais.

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