« Muganga – Celui qui soigne » : 10 ans de combat pour faire entendre la voix du docteur Mukwege à l’écran (Cynthia Pinet)

Née d’une lecture, nourrie par l’admiration et portée par la conviction, l’idée du film « Muganga – Celui qui soigne » a germé en 2014, après la découverte du livre Panzi. Dix ans plus tard, la réalisatrice Marie-Hélène Roux et son équipe livrent une œuvre bouleversante, inspirée de la vie du docteur Denis Mukwege entre douleur, espoir et humanité retrouvée. De Paris à Kinshasa, le film éveille les consciences et rallume la flamme d’un cinéma africain porteur de sens. La productrice Cynthia Pinet nous dit tout.

Comment est née l’idée du film « Muganga – Celui qui soigne » ?

L’idée est née en 2014, lorsque la réalisatrice Marie-Hélène Roux, née au Gabon, ayant grandi en Afrique et toujours très attachée à la culture du continent, découvre le livre Panzi des docteurs Denis Mukwege et Guy-Bernard Cadière.

À la lecture de cet ouvrage, elle se retrouve face à sa propre ignorance : elle ne connaissait pas le docteur Mukwege et n’avait aucune idée de ce qui se passait à l’est de la RDC. Bouleversée, elle m’a appelée en me disant : « On ne fait jamais de films sur des héros vivants, encore moins sur des héros africains. Et je pense que cet homme-là est un véritable héros ».

J’ai alors lu le livre à mon tour et, comme elle, j’ai été profondément touchée et confrontée à mon ignorance. C’est ainsi qu’est née l’envie d’en savoir plus sur qui est Denis Mukwege, sur son combat et sur la situation à l’est du pays. C’est de là qu’est partie l’idée du film.

Quelles ont été les principales difficultés rencontrées pendant les tournages ou les préparatifs de la réalisation du film ?

Nous avons rencontré beaucoup de difficultés, car il nous a fallu dix ans pour mener à bien ce projet. Si produire un film prend toujours du temps, dix ans, c’est extrêmement long.

Nous avons été confrontés à plusieurs obstacles. Tout d’abord, notre film aborde les violences sexuelles et le viol comme arme de guerre, un sujet que beaucoup de partenaires potentiels préféraient éviter ou aborder avec beaucoup de réserve. Cela explique la lenteur du montage du projet.

Ensuite, lorsque le film a enfin été achevé, la distribution a posé un autre défi. Là encore, les distributeurs se montraient frileux à l’idée de porter en salle un film traitant d’un sujet aussi dur.

Pourtant, Muganga ne montre pas seulement l’horreur : il porte aussi un message d’espoir. La réalisatrice tenait à ce que le film ne soit pas noir du début à la fin. Montrer le pire de l’être humain, oui, mais aussi le meilleur. C’est ce message que nous avons défendu, avec détermination, pour permettre au film d’exister.

Aujourd’hui, nous avons réussi. Mais il nous a fallu dix ans pour amener le public et les financeurs à regarder une vérité qu’ils n’avaient pas envie de voir.

Avez-vous subi des pressions de puissances occidentales ou de dignitaires africains ?

Non, depuis la sortie du film, aucune pression.
C’était plus compliqué pendant la phase de production, mais aujourd’hui que le film est accessible à tous, ce n’est plus le cas.

Le film mêle-t-il fiction et réalité, ou s’agit-il d’une œuvre purement fictive ?

En réalité, il s’agit d’un film inspiré d’histoires vraies. Certaines choses sont authentiques – comme l’attaque subie par le docteur Mukwege, ou son combat lui-même, auquel le film reste fidèle.

Cependant, la réalisatrice a choisi la voie de la fiction pour aborder certains thèmes qui lui tenaient à cœur et donner au récit une dimension universelle.

Compte tenu de la situation sécuritaire à l’Est de la RDC, notamment à Bukavu au Sud-Kivu, les spectateurs se demandent où le film a été tourné. Était-ce réellement en RDC ou ailleurs ?

Non. Nous avons tourné au Gabon, justement parce que, pour les assurances européennes, c’était trop compliqué d’assurer un tournage en RDC.

Nous avons donc dû tourner dans un pays voisin. Ce qui était très important pour la réalisatrice, c’était qu’on filme dans un pays ayant une proximité géographique et culturelle avec le Congo.

Nous voulions vraiment recréer l’hôpital de Panzi au plus près de celui qu’elle avait vu, puisqu’elle est allée à Bukavu, chez le docteur Mukwege. Nous tenions à être fidèles à cette réalité, car — vous l’avez vu dans le film — le décor est un véritable personnage. Il est très important.

Et Marie-Hélène, qui a grandi en Afrique, voulait retrouver les odeurs, les couleurs de ce continent. Il nous fallait donc nous rapprocher le plus possible de la vérité du Congo, et c’est au Gabon que nous l’avons trouvée.

Comment le public africain, congolais, français et autres ont-ils accueilli le film à sa sortie à Paris ?

De façon incroyable ! Marie-Hélène et moi, nous avons vraiment vécu un parcours du combattant pour réaliser ce film. Évidemment, il y a eu des périodes de doute, des moments où nous étions au bord du gouffre, subissant toutes sortes d’obstacles. C’était dur de ne pas lâcher.

Mais nous y croyions. Nous avions la conviction d’avoir fait ce film avec une immense sincérité. Nous nous disions que, si nous avions l’opportunité de le montrer au public, celui-ci verrait cette sincérité. Et c’est exactement ce qui s’est passé lors de la première projection publique, au Festival du film d’Angoulême.

Là, il y a eu une standing ovation de dix minutes. Les gens étaient bouleversés, pleuraient, applaudissaient. En sortant de la salle, certains sont venus pleurer dans nos bras. C’était vraiment quelque chose d’extraordinaire.

Tout le festival s’est déroulé dans cette même émotion : le film a remporté le Prix du public, le Prix des étudiants et Isaac de Bankolé a reçu le Prix du meilleur acteur. À ce moment-là, nous avons compris qu’il se passait quelque chose autour du film.

Très vite après Angoulême, Marie-Hélène a commencé à sillonner toute la France pour présenter le film en avant-première. Et les réactions étaient les mêmes à Marseille, à Lille, à Lyon ou ailleurs : partout, le même engouement.

Lorsque le film est sorti, cela a été encore plus incroyable : la communauté congolaise s’est véritablement emparée du film.

Le public français, pour 90 %, ne connaît pas Denis Mukwege et ignore ce qui se passe aujourd’hui en RDC. Pour eux, le film a été un éveil, un choc. Ils étaient bouleversés, et nous nous y attendions. En revanche, pour les Congolais, qui connaissent cette histoire, nous nous demandions comment ils allaient accueillir le film.

Finalement, ils ont compris toute la sincérité qui y a été mise et en ont été extrêmement fiers. Aujourd’hui, ils se sont appropriés le film, notamment sur les réseaux sociaux, où les retours sont incroyables. Et nous en sommes très fiers.

La projection d’hier a, elle aussi, été quelque chose d’incroyable.

Et Gims ? Son apport, comment s’est-il concrétisé ? Est-ce à travers le Prix Nobel de la paix ou via vos réseaux ?

Non, non. C’est grâce à notre distributeur, L’Atelier Distribution. C’est eux qui ont contacté Gims et lui ont montré le film. Lorsqu’il l’a vu, il nous a dit et je le cite : « Moi, j’ai pris une claque ! ».

Il nous a alors demandés comment il pouvait s’engager, comment il pouvait contribuer à donner plus de visibilité au film. C’est à ce moment-là qu’il a décidé de composer la chanson du générique de fin.

Quelles sont vos relations avec le gouvernement congolais à propos de ce film ?

Je pense qu’elles sont plutôt bonnes, puisqu’en ce moment même, nous sommes au ministère de la Communication. J’attends de rencontrer le ministre, qui était présent à la projection d’hier, aux côtés d’autres membres des autorités.

Donc, non, ces relations sont bonnes. Je crois sincèrement que le gouvernement a pris la mesure de ce qui se joue avec ce film.

Avec Marie-Hélène Roux, notre volonté a été de faire de ce film un outil de paix, de sensibilisation et d’éducation. Et je crois que le gouvernement congolais en a bien conscience. C’est d’ailleurs ce dont nous allons discuter aujourd’hui.

Êtes-vous disponible pour sceller un partenariat afin de projeter ce film partout où se trouvent les Congolais, tant au pays que dans la diaspora ?

Bien sûr ! Mon objectif, c’est que le film soit vu le plus largement possible. J’ai un plan que j’appelle campagne d’impact, c’est-à-dire impacter le plus possible grâce au film.

Si le gouvernement est intéressé pour mettre ce plan en action, nous en parlerons évidemment.

Évidemment, en tout cas, ce plan prévoit la diffusion du film dans les milieux scolaires, la diffusion publique dans toutes les provinces, ainsi que la diffusion dans tous les réseaux et associations.

Mon idée est très claire : on ne peut pas toucher toute une population, mais l’objectif est d’atteindre au moins un quart de la population congolaise. Voilà, c’est vraiment mon ambition : qu’un quart de la population congolaise – et cela représente beaucoup de monde – ait accès au film dans les mois à venir.

Dans une interview accordée à Paris Match, Mme Marie-Hélène Roux avait déclaré que dans chaque Congolais, ou dans chaque peuple, il y a toujours un peu de sang congolais dans les smartphones. Comment trouvez-vous cette déclaration ?

Oui, alors ça, ça ne vient pas d’elle, mais du docteur Mukwege. Il avait dit : « On a tous un bout du Congo dans notre poche ».

En effet, nos smartphones fonctionnent grâce au coltan, un minerai très prisé ici et qui est au cœur du conflit qui perdure depuis trente ans. Donc, bien sûr que c’est vrai : on a tous un smartphone, un ordinateur, et donc un bout du Congo dans notre poche.

Mais il ne faut pas culpabiliser les gens. Le docteur Mukwege lui-même a un smartphone. L’idée n’est pas de culpabiliser, mais d’éveiller les consciences : accepter d’avoir un téléphone, oui, mais ne plus accepter la façon dont ce minerai est extrait. C’est cela, en réalité, le message.

Un message aux congolais et particulièrement aux cinéastes congolais, qui auront sûrement des avis à émettre sur votre réalisation et sur le film ?

Déjà, j’aimerais leur dire merci. Hier, à Kinshasa, lors de la projection organisée au centre culturel, nous avons eu près de mille personnes, et nous avons dû en refuser plus du double.

Je leur dis merci de s’être mobilisés en masse, d’être venus voir le film. J’avais une appréhension, car le public congolais en France s’était emparé du film, mais ici, c’était différent : nous étions au Congo, à Kinshasa. Et finalement, la réaction a été exactement la même que celle observée en France.

Cela m’a vraiment fait chaud au cœur, parce que Marie-Hélène a réussi son pari : ce film est universel. Quel que soit l’endroit dans le monde où il est projeté, les gens réagissent de la même manière. Et venant des Congolais, ici, au Congo, cela m’a particulièrement touchée.

Et pour les cinéastes congolais qui auront des avis à donner ?

Eh bien, s’ils ont des avis positifs, qu’ils les partagent sur les réseaux sociaux. Cela nous aidera à faire en sorte que le film soit vu par le plus grand nombre. Parce que c’est le succès du film qui va m’aider à mobiliser les gouvernements, que ce soit ici, en RDC, ou dans d’autres pays. C’est ce succès qui permettra une diffusion internationale.
Donc, surtout, qu’ils partagent et qu’ils nous soutiennent dans ce sens.

Une dernière question : au-delà de Gims, quelle autre célébrité mondiale soutient votre démarche ? Vous parlez d’Angelina Jolie ?

Rires. Oui, Angelina Jolie, un peu comme Gims, a été mise en contact avec le projet par l’un de nos partenaires et investisseurs. On lui a montré le film, et, comme beaucoup, elle a été bouleversée.

Elle était à la fois choquée que la scène internationale ne se soit pas déjà emparée du film, et en même temps, elle n’était pas surprise : c’est une grande activiste, très engagée. Elle est déjà allée à La Haye, elle a rencontré le docteur Mukwege à plusieurs reprises, et elle connaît les difficultés que nous avons rencontrées pendant la production.

Le film l’a tellement touchée qu’elle a décidé de s’associer à moi sur la production, pour mettre son nom et sa notoriété au service du film, et lui donner une portée internationale. C’est juste extraordinaire.

Honnêtement, je pense que nous avons tous les ingrédients : Angelina Jolie à nos côtés, Gims qui signe la chanson du générique de fin, lui qui est l’artiste francophone le plus streamé au monde, un film d’une qualité incroyable et un public qui, à chaque projection, nous soutient et manifeste son enthousiasme.

Je crois sincèrement que nous avons tous les atouts pour faire de ce film un succès international et éveiller les consciences au plus haut niveau.

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