Seul l’État congolais peut mettre fin à la cacophonie dans le secteur des droits d’auteur en RDC

Depuis plus d’une décennie, la gestion des droits d’auteur en République démocratique du Congo est plongée dans une cacophonie qui fragilise les créateurs, démobilise les investisseurs culturels et ridiculise la valeur même de l’art rd-congolais à l’échelle nationale et internationale. Cette situation, qui profite à un petit groupe d’artistes et à leurs proches, a fini par décrédibiliser le mécanisme censé protéger et valoriser les œuvres de l’esprit.

Pourtant, dans un État de droit, les droits d’auteur et les droits voisins ne peuvent être l’apanage d’une poignée d’individus qui les exploitent à des fins personnelles. Seule l’autorité publique, garante de l’intérêt général, dispose du pouvoir et de la légitimité nécessaires pour mettre fin à ce que d’aucuns qualifieraient de désordre.

Une ordonnance à abroger : le cas de la SOCODA

La Société Congolaise des Droits d’Auteur et des Droits Voisins – SOCODA – a été créée par ordonnance présidentielle n° 11/022 du 18 mars 2011, censée marquer une avancée historique dans la reconnaissance des créateurs congolais. Hélas, en lieu et place de devenir une institution transparente et crédible, elle s’est transformée en un foyer de conflits internes, de mauvaise gestion et d’opacité.

Plus grave encore, la SOCODA n’a pas su instaurer la confiance des artistes eux-mêmes, ni convaincre les opérateurs économiques qui devraient s’acquitter de leurs redevances. Les scandales répétés, les rivalités personnelles et les querelles de leadership ont totalement discrédité l’institution.

Face à ce constat d’échec, une solution claire s’impose : le retrait pur et simple de l’ordonnance ayant autorisé la création de la SOCODA. « Tant que cette structure continuera d’exister, la cacophonie persistera et la RDC restera à la traîne dans un domaine qui constitue pourtant une source essentielle de revenus pour les créateurs dans d’autres pays », nous a confié le responsable d’un hôtel huppé basé dans le centre des affaires de Kinshasa.

Pour une société publique nationale des droits d’auteur et droits voisins

Il est temps que l’État congolais assume pleinement ses responsabilités en créant une société publique nationale de gestion collective des droits d’auteur et droits voisins. Contrairement à la SOCODA, cette société serait fondée sur des principes de transparence, de professionnalisme et de gouvernance moderne.

Ses caractéristiques devraient être, entre autres le statut public où l’État, à travers le ministère de la Culture, Arts et Patrimoine, en serait le garant ; la transparence avec des mécanismes d’audit réguliers et indépendants seraient institués pour éviter la corruption et le clientélisme ; l’inclusion où tous les créateurs, qu’ils soient musiciens, écrivains, cinéastes, peintres ou artistes numériques, devraient y être représentés ; la digitalisation où la collecte et la redistribution des droits seraient modernisées grâce aux outils numériques, permettant un suivi clair et en temps réel.

Il convient de rappeler que lors de la trente-huitième réunion ordinaire du Conseil des ministres, présidé par le Chef de l’État rd-congolais Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo, le vendredi 4 avril 2025 à Kinshasa, la ministre de la Culture, Arts et Patrimoine, Yolande Elebe Ma Ndembo, avait rappelé à l’ensemble du gouvernement que la gestion des droits d’auteur et droits voisins est caractérisée par une crise interminable depuis des décennies poussant certains artistes découragés à conférer la collecte et la gestion de leurs droits aux sociétés étrangères. Ce qui prive le pays d’importants revenus de taxes et menace notre patrimoine culturel.

Dans la recherche d’une solution durable, une Commission Spéciale instituée en décembre 2024 a étalé ses activités sur sept séances de concertations avec toutes les parties prenantes au conflit, identifié les problèmes et a formulé huit principales recommandations au gouvernement parmi lesquelles : la récupération du monopole accordé aux structures privées (coopératives) et
l’attribution à une structure étatique à créer, en l’occurrence un Etablissement public
(comme le cas de la CNSS ou de la CNSSAP), à l’instar de plusieurs pays africains, et dirigée par des personnes désignées en fonction d’un critérium prenant en compte la bonne gouvernance, l’éthique, l’expertise en la matière et de l’expérience dans la gestion.

Au cours de cette réunion, la ministre de la Culture, Arts et Patrimoine a sollicité l’accompagnement du gouvernement afin de garantir la protection des droits des citoyens, y compris les créateurs d’œuvres de l’esprit et leurs ayants droits.

Un enjeu de réciprocité internationale

La création d’une société nationale de gestion des droits d’auteur aurait un autre avantage décisif : la réciprocité avec les sociétés étrangères. Aujourd’hui, les artistes rd-congolais sont pénalisés parce que les sociétés internationales rechignent à coopérer avec une structure nationale jugée peu fiable.

Avec une société publique crédible et reconnue par l’État, la RDC pourrait conclure des accords de réciprocité avec les organismes de gestion collective d’autres pays, ouvrant ainsi la voie à la perception et à la redistribution des droits d’auteur des rd-congolais à l’étranger — et vice versa, mais également une coopération internationale franche avec l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle – OMPI -, la Confédération internationale des sociétés d’auteurs compositeurs – CISAC – et l’Organisation des nations unies pour l’éducation, la science et la culture – UNESCO -.

Cela renforcerait le poids économique et symbolique des créateurs rd-congolais sur la scène internationale, tout en plaçant la RDC au même niveau que les autres nations respectueuses des droits culturels.

L’expérience SOCODA a montré ses limites. Les querelles intestines et la mauvaise gestion ont détruit la confiance et empêché le développement d’un véritable écosystème culturel basé sur la valeur du droit d’auteur.

Seule une décision forte de l’État -le retrait de l’ordonnance ayant créé la SOCODA et la mise en place d’une société nationale publique de gestion des droits d’auteur et droits voisins- permettra de rétablir l’ordre et de redonner l’espoir aux créateurs rd-congolais.

Il ne s’agit pas seulement de régler une querelle administrative, mais de poser les bases d’une véritable économie culturelle, capable de protéger les artistes, de valoriser leurs œuvres et de générer des revenus équitables au profit de tous. « Avec la création de la nouvelle société qui sera, on l’estime, loin des enjeux politiciens dans sa gestion, ainsi que les différents textes légaux légiférés durant le premier mandat de la ministre Yolande Elebe Ma Ndembo, tout cela produiront automatiquement des effets positifs escomptés. J’y crois. C’est juste question de mutualiser les efforts des uns et des autres », a déclaré Patrick Nzazi, journaliste culturel, critique d’art, curateur et auteur rd-congolais.

KMC