Francophonie lève-toi, Francophonie demande des comptes, Francophonie tu mérites mieux

À quelques jours de la journée de la Francophonie 20 mars, je prends mon clavier et tape ces mots pour crier la souffrance que je perçois chaque jour à travers les échanges avec les francophones des cinq continents.

Ni les organismes francophones, ni nos élites ne sont à la hauteur de l’espoir ou des chiffres qui entourent la réalité. La Francophonie de terrain aussi bien par son nombre de locuteurs que par son nombre d’usagers est vivante et active. Les budgets pour la fortifier et la maitriser ne sont soit pas à la hauteur, soit mal utilisés. Où sont les cours en ligne pour les millions de francophones en Afrique, dans les Caraïbes, dans l´Océan Indien, en Europe de l’Est ou en Asie ?

Les structures déployées par la Chine pour apprendre et diffuser le français dans ses Universités ou médias sont plus puissantes que les organisations francophones en Afrique. Que dire de la Francophonie économique dont on parle depuis six ans et qui n’existe que sur le terrain par son usage, mais est absente du programme des Universités francophones alors que c’est le moteur du futur vis-à-vis de la mondialisation ? Ou sont les subsides pour former les femmes entrepreneures dont la Francophonie à besoins car leur taux de réussite est supérieur aux hommes.

Il y a 500 millions de consommateurs dans l’espace de la Francophonie économique, car il faut faire la différence entre un locuteur francophone repris par les experts pour mesurer l’usage de la langue ou l’acheteur du produit dans un environnement francophone. Alors que 100% des congolais ne sont pas francophones, les produits des autres pays francophones (voisins ou lointains) et étiquetés en français inondent le pays dans sa totalité. Contrairement aux anglophones qui attachent de l´importance au commerce, les experts francophones se referment dans leur tour d’ivoire et restent sur des calculs de salon s’excluant tout, seuls des échanges possibles. Que dire des chiffres statistiques de calcul des francophones sur Wikipédia ou dans les livres universitaires ? Tous sont obsolètes, ni réellement estimés ce qui fait la joie des anglophones. Les outils de mesure pour savoir qui parle une langue sont en retard d´un siècle.

En Afrique avec la natalité croissante, l’accès à la toile, l’absence des langues locales sur les médias qui dope le français, les chiffres de 2014 pour évaluer des pays sont souvent 50% inférieurs à la réalité. Où est le souci, me direz-vous, de savoir s’il y a 30% ou 60% de francophones dans un pays ? En fait tout change car les pays exportateurs et importateurs vont communiquer en français ou en anglais, aussi bien sur les étiquettes, les modes d’emplois, les tutoriels, les publicités, les fournitures médias, le culturel, les liens internet, les centres d’appel, le service après-vente, les échanges universitaires, la collaboration technique, les échanges politiques.

La langue inclut aussi les valeurs portées par la Francophonie vis à vis des échanges économiques, de la démocratie, de l’égalité de genres et autres valeurs associées.

Les institutions francophones doivent quitter leurs bureaux et aller surplace pour prendre à bras le corps la réalité de terrain. Pour un fonctionnaire dans un bureau, il faut un fonctionnaire sur le terrain.

Moins de réunions, moins de petits fours et plus de professeurs en ligne gratuits, plus de livres en ligne gratuits, plus d´échanges entre francophones, plus de visas de formations et d’études, plus de bourses, de billets d’avion, d’ordinateurs dans les écoles, plus de wifi gratuit et moins de visites protocolaires. Les billets d’avion doivent aller aux étudiants qui ont besoin de formation en laboratoire et non plus aux hauts fonctionnaires, la covid19 a montré que le virtuel suffisait pour travailler sans payer des hôtels, restaurants, taxis, avions, les classes, les affaires…

Nous devons aussi créer une plateforme de mobilité entre les administrations des cinq continents pour des échanges d’un mois de fonctionnaires afin partager le savoir-faire. Des pompiers hommes ou femmes portuaires togolais en France, des formateurs ou formatrices alpinistes haïtien.ne.s en Suisse, des jardiniers hommes ou femmes monégasques à Madagascar, des fermiers ou fermières marocain.e.s au Canada… tous ensemble pour s’enrichir mutuellement apprendre les un.e.s des autres en techniques et savoirs. Échanger les enseignants deux semaines par an. Donner des cours communs de CP en ligne un jour par mois. Cours de sciences ou de dessin. Envoyer nos artistes dans les autres pays sous forme d’échanges équilibrés avec des visas artistes ou enseignants de la Francophonie. Sortir de la Francophonie virtuelle pour la Francophonie des gens pour bien sentir le partage de la langue.

Envoyer des délégations de jeunes francophones de différents pays pour partager le français avec les apprenants étrangers. Un groupe de congolais.e.s, belges, canadien.ne.s, marocain.e.s au Japon sera soudé à vie et lié par la langue.

Mutualiser les budgets et utiliser les subventions existantes en Europe,au Canada, à l’OIF et ailleurs pour organiser des projets innovants et porteurs d’échanges de la nouvelle génération. Miser plus sur la toile et la comprendre. Les équipes de jeunes francophones qui jouent en ligne ou échangent des vidéos sont un exemple fortifiant de la Francophonie de moins de 15 ans qui sera dans un futur proche notre énergie pour donner à la langue française son milliard de locuteurs vers 2050, c´est à dire demain. Ils sont nos futurs chercheurs, médecins, capitaines d´industrie ; leur donner une possibilité de travailler et d´échanger dans leur langue maternelle et non dans un anglais basique sera la clef du succès. Einstein n’a jamais pensé en anglais pour travailler mais dans sa langue maternelle, l’allemand.

Avoir des universités sur cinq continents qui cherchent et publient dans la langue maternelle de leurs chercheurs est un outil majeur de résultats et donc profitable à tous. Pour que nos centres de recherche ne soient pas délocalisés, un français fort d’un milliard de locuteurs et de consommateurs permettra aux francophones de garder leurs atouts et de compter dans le futur. Les francophones du Nord doivent impérativement ouvrir leurs finances pour aider les dizaines de millions de francophones du Sud pour avoir une équipe globale, nombreuse, forte, capable de rivaliser avec les autres groupes linguistiques.

Dans un monde de 8 milliards d´habitants, sans les centaines de millions de francophones du Sud, les français.e.s, belges, canadien.ne.s, suisses, luxembourgeois.e.s, monégasques et autres ne pourront pas lutter face aux anglophones, sinophones, hispanophones ou encore lusophones. Sans grande place dans les supports médias de vos écrans ou les cours universitaires, le français sera comme le danois ou l’estonien, une langue mineure perdue dans la masse.

Ce mois de mars est le mois de la Francophonie, le mois de la promotion de notre langue, brisons le carcan, réclamons le changement maintenant !

Pr. Bruno Bernard, Dr H.C. Expert en Francophonie, Belgique