Le rap français, un instrument de dénonciation contre la guerre dans l’Est de la RDC

La guerre en République Démocratique du Congo ne se limite pas qu’aux revendications politiques auprès de la population. Elle est aussi une cause que de nombreux rappeurs français, qu’ils soient d’origine rd-congolaise ou non, ont choisi de mettre en lumière. Le rap, en tant que musique contestataire et anti-impérialiste, devient une arme de dénonciation face à l’agression que subit la RDC depuis plus de 25 ans.

Bien avant que les albums-concepts basés sur une nationalité ou une origine ethnique ne deviennent populaires, et bien avant l’explosion de l’afro-trap, Bisso Na Bisso avait déjà ouvert la voie. En 1999, leur album « Racines » abordait déjà les préoccupations liées à la situation en RDC. Ce collectif, composé de rappeurs d’origine congolaise issus du Secteur Ä (Passi, Ärsenik, M’Passi, Les 2 Bal, Mystik et Ben-J), dénonçait les violences qui frappaient leur terre d’origine.

« La mère patrie pleure des rivières de sang, le rouge est dans ses yeux, le peuple est mécontent. Dans ces drames qui rentrent les armes du mal, de qui coulent les larmes. Miséricorde à ces félins qui laissent veuves et orphelins. Vallées de l’angoisse, péchés, enfants égarés, règne de la tristesse, beaucoup trop de gens sont tombés. » – Passi (Bisso Na Bisso, 1999)

Depuis, d’innombrables rappeurs ont pris le relais en dénonçant à leur tour l’injustice et la guerre en Rd-Congo. Youssoupha, dans À force de le dire (Sur le chemin du retour, 2009), soulignait l’indifférence internationale face à ce drame.

« À force de subir une guérilla sauvage, mon pays meurt dans l’oubli et dans l’amnésie internationale. Y’a cette tragédie humaine dont l’opinion se moque, pourtant la guerre au Congo a fait plus de 4 millions de morts. »

Le rap conscient a aussi vu émerger d’autres voix militantes, comme M.A.P ft. Axiom dans Je ne suis pas un numéro (Debout Là D’dans, 2006) : « Et j’ai vu des marmots partir à la guerre. Au Burundi, Congo, enrôlés par des militaires… »

Despo Rutti, Maître Gims et la dénonciation sans filtre

Connu pour sa plume provocatrice, Despo Rutti n’a pas hésité à faire un parallèle entre le colonialisme et les braquages modernes dans Bankster (2018) : « Je vois les braqueurs de bijouteries noirs. Comme des vengeurs masqués du pillage du Congo, négro. »

De son côté, Gims, dans l’album « Les Dernières Volontés de Mozart » (2022) plus précisément dans son titre « Thémistocle », il n’a pas mâché ses mots en comparant Paul Kagame à Hitler : « Kagame rime avec croix gammée. »

Le rappeur d’origine rd-congolaise Kalash Criminel met régulièrement en lumière la guerre qui ravage l’Est du pays, comme dans Apocalypse (SVR, 2022), où il déclare aux côtés de Kaaris et Freeze Corleone : « Pourquoi j’suis aussi violent ? Parce que j’ai connu la guerre au Congo. »

Dans « Bon Courage » (2024), il insiste sur l’exploitation des ressources naturelles et l’implication des puissances étrangères : « Ça parle de cobalt, ça parle de coltan, ça parle de diamants, minerais du Congo. Ça parle des enfants qui travaillent dedans, Igo, c’est pas clair. »

Damso, Siboy et la douleur d’une enfance marquée par la guerre

Ayant directement vécu les pillages et les affrontements en RDC, Damso exprime ses souvenirs dans Graine de sablier (Intégral, 2018). « J’ai grandi à l’époque des pillages, les tirs de Kalash m’empêchaient de rêver. »

Dans un registre plus énigmatique, Siboy, sur « Spécial » (2017), évoque aussi son vécu avec des phrases percutantes.

« À cause de la guerre, je n’ai pas eu de maternelle. J’ai pleuré des larmes de sang quand j’ai vu mon père en taule. »

La nouvelle génération engagée

Les jeunes rappeurs d’origine rd-congolaise poursuivent cette tradition contestataire. Tiakola et Merveille dans Protect (BDLM, 2024), mettent en lumière la convoitise sur les richesses du Congo : « Surtout quand y a monnaie, c’est là que Malheur vient frapper comme en RDC. »

SDM, rappeur attaché à ses racines, consacre un morceau entier à la RDC dans « 2sang43 » (Liens du 100, 2022) : « Ils viennent voler nos diamants pour mettre sur les trophées du Real. »

Il pointe aussi du doigt l’inaction politique et l’exploitation des dirigeants congolais. « L’Occident voit nos chefs d’État comme des chiens non dressés. »

Même Booba, qui n’est pas d’origine rd-congolaise, a dénoncé les atrocités commises en Rd-Congo dans « Terrain » (2017). « Viols de nouveau-nés au Congo, le monde est déshumanisé. »

Les Étrangers en Service : un collectif contre l’agression en RDC

Le collectif Étrangers en Service, composé de Poison Mobutu, Escobar Macson, Kozi et Despo Rutti, consacre un morceau entier à la guerre en Rd-Congo avec M23, dénonçant l’inaction de la communauté internationale.

« Les Nations unies gardent le silence face aux viols et aux massacres, c’est triste. À ce rythme, on y sera encore jusqu’à la prochaine arrivée du Christ. »

Un engagement qui traverse des générations

Que ce soit à travers des morceaux explicites ou des références plus subtiles, le rap français continue de faire entendre la voix du peuple congolais. Ces artistes, par leurs textes poignants, rappellent que la guerre en Rd-Congo est une tragédie humaine qui mérite une attention mondiale.

Au-delà de la musique, leur engagement s’inscrit dans une lutte pour la justice, la mémoire et l’espoir d’un avenir meilleur pour leur terre d’origine.

PLAMEDI MASAMBA