Liberté artistique : faut-il encore juger les rappeurs ?

Kinshasa bruisse de critiques à chaque nouvelle sortie musicale. Le rap, particulièrement, est devenu le punching-ball favori des débats sur la morale, les mœurs et la jeunesse. Certains y voient une déchéance, d’autres une menace culturelle. Mais combien prennent vraiment le temps d’écouter ce que disent ces artistes ? Le message est souvent plus profond qu’il n’y paraît.

L’expression créative ne devrait pas être jugée. Soit vous consommez, soit vous ne consommez pas. Et si ce n’est pas votre truc, c’est que cela ne correspond ni à vos valeurs, ni à votre style. Mais s’en prendre à l’intention artistique, c’est aller trop loin.

Le rap, comme toute la musique urbaine, est né dans la rue. Créé par des jeunes marginalisés, il est l’écho brut de leurs réalités. À Kinshasa, c’est pareil. Ce qui fait vibrer la ville aujourd’hui vient de Tshangu. Des quartiers populaires, souvent stigmatisés, mais toujours débordants de créativité.

Le vrai rap des années 80, 90 et début 2000 parlait déjà d’argent sale, de drogue, de sexe, de survie et de guerre de gangs. Pourquoi ? Parce que c’était – et c’est encore – leur quotidien. Plus on a du vécu, plus on a de choses à dire. Ceux qui écoutent du rap depuis longtemps le savent très bien.

Aujourd’hui encore, le genre est multiple. Il y a le rap dit “conscient” — avec Youssoupha, Kery James, ou chez nous Lexxus Legal, Magneto, Marshall Dixon, MPR — qui éduquent, dénoncent, éveillent les consciences. Et puis il y a ceux qu’on juge plus provocants : Booba, Koba LaD, Ninho, Kalash Criminel, ou encore Big Brown, G6 Souljaz, LM Soldat, MicMac. Ce n’est pas parce qu’ils dérangent qu’ils sont moins légitimes. Le rap est pluriel. Il est libre.

Et non, le rap n’a pas inventé la drogue, l’alcool ou le sexe. Il les raconte. Ces thèmes existaient bien avant que les jeunes ne commencent à les chanter. Des artistes comme Naza, Damso, Chily, SDM, Niska, Kalash Criminel en font leur univers, et pourtant ils remplissent les salles. Et ici, en Rd-Congo, ils font même la fierté de leurs origines rd-congolaises.

Pourquoi donc “Poison na Diamba” de Baboozin étonne-t-elle tant ? Fellow a déjà chanté pour la weed, sans provoquer autant de remous.

Quand certains s’indignent du titre Ba Mères de Khonee et Tmor, rappelons-nous que Kalash Criminel – que nous sommes nombreux à applaudir – disait déjà dans Cougar Gang : « J’suis bon qu’à niquer des mères. » C’est cru, choquant, mais dans le code du rap, ce n’est ni une insulte personnelle, ni une attaque ciblée. C’est une image forte, un langage codé – tout comme le cinéma ou la littérature ont les leurs -.

Oui, on peut dénoncer la dépravation des mœurs. C’est un droit. Mais soyons cohérents : même la rumba, souvent perçue comme plus “propre”, a connu ses excès, simplement masqués par des paroles plus poétiques ou une ambiance feutrée.

Le Congo se développe, c’est vrai. Mais la musique urbaine ne deviendra pas du gospel pour autant. Tant qu’il y aura des réalités dures, des injustices, des frustrations, il y aura des artistes pour les traduire – parfois avec finesse, parfois avec brutalité -.

Tolérons nos rappeurs et leurs expressions. Parce qu’ils traduisent une société que nous refusons souvent de regarder en face. Et si l’on veut éduquer, faisons-le avec des débats, pas avec des arrestations. Avec de la pédagogie, pas avec de la répression.

Dans un pays qui se veut démocratique, la liberté artistique ne devrait jamais être une option.

PLAMEDI MASAMBA