Lokolama : le calvaire des sentinelles des tourbières

Deuxième poumon écologique de la planète après l’Amazonie, le bassin du Congo héberge l’un des plus grands puits de carbone du monde. Selon les scientifiques, la forêt équatoriale loge dans ses entrailles une réserve de 30 milliards de tonnes de carbone. De quoi permettre à l’humanité de se caparaçonner du réchauffement climatique qui fait déjà des effets dans plusieurs coins du globe.Découvertes en 2017, les tourbières du bassin du Congo, ces zones marécageuses qui jouent un rôle prépondérant dans l’équilibre du climat sur l’échiquier planétaire, focalisent l’attention des environnementalistes qui battent campagne pour leur protection.Sensibilisées et mobilisées, les populations autochtones se muent en gardiennes du temple … au détriment de leur propre survie. Récit de Fyfy Solange Tangamu, l’envoyée spéciale de « Forum des As » qui, en compagnie de la photographe professionnelle Inès Kabamba, a séjourné du 12 au 16 septembre dernier à Lokolama, en plein cœur de la province de l’Equateur, où ont été découvertes les premières tourbières de la région. Notons que ce reportage a été réalisé avec le soutien du Rainforest Journalism Fund en partenariat avec Pulitzer Center.Situé à 45 km de la ville de Mbandaka, chef lieu de la province de l’Equateur, le village de Lokolama est devenu célèbre grâce à ses tourbières. Erigé le long de la route nationale n°8, ce berceau du puits de carbone, où vivent 600 âmes réparties entre 84 ménages, fait partie du secteur de Elanga dans le territoire de Bikoro.Porte-parole de la communauté, Valentin Egobo, nous a servi de guide tout le long de notre séjour. Avec lui, nous avons roulé pendant au moins deux heures sur une route cabossée, parsemée de nids de poule. C’est en fin de journée que nous avons posé le pied sur le sol de Lokolama.
En cette saison de pluie, l’atmosphère est froide. Les flaques d’eau et le sol mouillés démontrent l’intensité des intempéries. Quelques membres de la communauté sont venus nous souhaiter la bienvenue. Autour d’eux, des enfants de moins de dix ans, dont les cheveux n’ont pas reçu de coup de peigne depuis des jours, virevoltaient autour de notre véhicule, couvert de boues ramassées tout le long du trajet. Vêtus d’habits qui ont connu des jours meilleurs, ces gamins joyeux avaient l’air fascinés. Dans la foulée, on apercevait d’autres enfants moins âgés, sans vêtements, accrochés aux jupes de leurs mères. Ils, regardaient de loin, « cet engin visiblement dangereux à leur gout ».Sensibilisation
des communautés
aux tourbières
Avec des portes courtes, presque toutes les maisons du village, construites de briques cuites en argile et de feuille de palmier en guise de toit, se ressemblent. A quelques mètres des habitations, la forêt s’impose. Une végétation dense.Des bananiers sont plantés à côté de pratiquement chaque maison. Culture essentielle, étant donné que la banane plantin est un aliment de base de cette population. Au milieu du village une église trône. Couverte de chaumes, la maison en brique cuite qui nous est réservée se trouve juste derrière le temple.PAS DE PECHE, NI DES CHAMPS AUTOUR DES TOURBIERES
Au lendemain de notre arrivée, réunis dans l’église, sous une pluie battante, les membres de la communauté ont accepté de répondre à nos préoccupations. A la question de savoir s’ils comprennent pourquoi les tourbières doivent être protégées, le chef de localité du village Lokolama, Hubert Bonkile s’est montré mieux renseigné : « Avant, nous ne connaissions pas l’importance de ces tourbières. Ce sont les scientifiques venus ici, avec Greenpeace qui nous l’ont appris. Ils nous ont expliqué que nous ne devions pas pratiquer des activités dans les tourbières et autour. Ils nous ont recommandé ne pas couper les arbres, ne pas faire de la pèche ou la culture sur ces zones. Car, selon les scientifiques, leur protection est importante pour le climat dans le monde. Mais des zones d’ombres persistent. Il faut encore mieux former la communauté », a-t-il indiqué.
Membre du comité de gestion du clan, José Eyombe, estime plutôt que la communauté n’a pas été suffisamment formée par les partenaires ou les autorités locales sur la nécessité de protéger les tourbières. « Les experts nous demandent de protéger notre foret et d’en faire bon usage. Mais, la communauté doit être mieux formée sur ces zones marécageuses. Car, nous ne connaissons pas en profondeur ce que sont ces tourbières ».
Comment la communauté tache-t-elle pour protéger l’environnement et particulièrement pour conserver les tourbières ? « A travers les assemblées organisées par les partenaires et ce que nos responsables de clan ne cessent de nous répéter, nous avons appris à respecter les tourbières. Ne pas y pratiquer des activités humaines. Et comme alternative pour éviter l’agriculture intense, les partenaires nous ont orientés vers l’élevage des petits bétails », nous a signalé Nsongo Marie-Josée.« Paysans, nos ancêtres pratiquaient l’agriculture sur brûlis pour préserver la forêt. Mais pour ne plus pratiquer l’agriculture sur brulis, nous demandons aux partenaires d’organiser des séances de formation sur l’agriculture durable qui peut être une alternative à celle que nous connaissons depuis nos ancêtres. Ce, d’autant qu’il nous est recommandé de laisser le temps aux arbres de croître avant de les abattre de nouveau » a plaidé Albertine Mbongo.Pour le pasteur intérimaire de l’église du village, de confession kimbanguiste, Jean-Pierre Inonga, il y a un couac. Les partenaires font beaucoup de promesses qu’ils ne réalisent pas. « Nous sommes les gardiens, les sentinelles des tourbières. Nous refusons tout argent des étrangers qui cherchent à exploiter le bois près des tourbières ou à saccager ces zones. Car, elles jouent un rôle crucial dans le maintien de l’équilibre du climat au niveau mondial » a indiqué l’homme de Dieu.
Mais, poursuit-il, « nos villages ne sont pas modernisés. Nous souhaiterons voir des industries, des infrastructures, des écoles, des maisons modernes à Lokolama, face au travail que nous, peuples autochtones, réalisons dans la protection des tourbières. Parce que n’eussent été nos interventions certains membres des villages voisins auraient déjà pratiqué de l’agriculture autour des tourbières, mais nous les en avons empêchés ».Des tourbières inondées en période de cru
Au petit matin du lendemain de notre entretien avec la communauté, nous sommes allés voir les tourbières. En cette période de cru, nous n’avions pas pu pénétrer assez loin dans la forêt. Pierre, machette à la main frayait pour nous un passage, devant Guy qui marchait devant nous. Arrivés à l’endroit où se trouvent les tourbières, l’eau était pleine, on n’arrivait pas à voir les tourbes.« C’est ici que se trouvent les premières tourbières. Mais on ne peut les voir à cause de l’eau. Avec les pluies abondantes de ces derniers jours, nous avons des problèmes d’inondations » explique, l’un de nos accompagnateurs. Avec de l’eau jusqu’au genou, il s’est avancé jusqu’au milieu de la zone, plongeant les mains dans l’eau pour faire ressortir une bride de tourbe.Veiller aux moyens
de subsistance des communautés
Aujourd’hui, les tourbières sont menacées par l’exploitation du bois et du pétrole. Pour éviter que ces zones ne se dégradent, l’implication des communautés s’avère nécessaire. Au niveau du gouvernement congolais, Jean-Jacques Bambuta, le Coordonnateur de l’Unité de Gestion des Tourbières, Point Focal National au ministère de l’Environnement et Développement Durable, nous a éclairé sur la place qu’occupent les communautés dans la politique de l’Etat en matière de protection des tourbières.
« Actuellement, si les tourbières sont menacées c’est à cause des activités humaines menées par les communautés, notamment l’agriculture sur des portions de terre gagnée sur les tourbières, pèche par asséchement, érection des plantations des bananerais, etc. La politique ou la stratégie de notre coordination va faire en sorte que l’on trouve des alternatives qui feront en sorte que les moyens de subsistance des communautés soient rassurés tout en évitant que ces communautés puissent détruire les tourbières » a indiqué le point focal.Du côté des scientifiques nous nous sommes entretenus avec le Pr Raoul Monsembula qui nous a renseignée sur leur manière de faire afin d’impliquer les communautés dans l’appropriation de protection des tourbières.
« Les scientifiques qui travaillent pour la cartographie des tourbières et les mensurations de la tourbe oeuvrent en étroite collaboration avec les comités locaux et les leaders des villages. Il y a eu plusieurs séances de sensibilisation avant l’entrée dans les forêts. Ces séances consistent à expliquer l’objectif de l’équipe des scientifiques, ce qu’ils sont venus faire et l’intérêt d’un tel travail » a déclaré le professeur Monsembula.Associer la population pour une appropriation
Selon lui, toute entrée dans la forêt débute par une explication de ce que les scientifiques sont venus faire. « Ils laissent aux communautés le loisir de poser de multiples questions. Au retour du terrain, chaque soir, un débriefing est fait avec les leaders pour discuter de ce qu’a été la journée ». Les équipes d’enquêtes sur le terrain sont formées de scientifiques en petit nombre et des communautés pour diverses tâches liées à ce travail pénible de pénétration des zones humides d’accès très difficile. Les communautés sont associées à la recherche et sensibilisées avant toute descente. Elles s’intéressent et s’approprient le travail réalisé par les scientifiques », affirme Raoul Monsembula.
Membre de la Société civile, le coordonnateur a.i du Groupe de Travail Climat REDD Rénové, Guy Kajemba, assure que tout est mis en œuvre pour que les plaidoyers sur la protection des tourbières menés au niveau international, intègrent le rôle des communautés dans leur protection.
«Nous veillons à ce qu’il y ait des représentants de la Société civile dans tous les projets relatifs aux tourbières. Et dans nos plaidoyers nous demandons à ce que les retombées de ces projets soient profitables à la communauté locale. Pour ce, nous descendons sur terrain pour rencontrer les populations et comprendre leurs modes de vie. Nous veillons à ce que les différents partenaires respectent cela. Pour ce, nous recommandons de responsabiliser les communautés elles-mêmes et d’assurer la formation des formateurs » affirme notre interlocuteur.
Certes, les populations autochtones commencent à prendre conscience du rôle que ces zones humides représentent au niveau planétaire. Cependant, leur implication est utile si la communauté internationale souhaite que les tourbières soient protégées.
Ainsi, est-il nécessaire de compenser par des projets concrets et constructifs les activités dont les populations se privent, hypothéquant ainsi leur survie.
Fyfy Solange TANGAMU, de retour de Lokolama