Musique : Damso, de rappeur clivant à artiste accompli

Avec « QALF Infinity », Damso livre un projet abouti qui fait l’unanimité. Artiste clivant à ses débuts, il a su écouter les critiques et faire évoluer son univers.

Sorti en milieu de semaine, « QALF Infinity » a déjà engendré bon nombre de débats sur les réseaux sociaux. Plus brut que « Lithopédion », plus agressif qu’Ipséité, il s’inscrit dans la continuité de « QALF » première partie, dévoilé l’an dernier : des textes très personnels succèdent à des purs moments d’égotrip, les grosses fulgurances côtoient des titres plus quelconques, et l’expérimentation reste dominante. La conclusion, en revanche, est toujours la même : l’écoute d’un nouvel album de Damso est toujours une expérience à part.

C’est l’une des grandes forces du rappeur belge : il ne produit jamais deux fois le même album, mais parvient à conserver une ligne directrice cohérente tout au long de sa discographie. Son évolution artistique, palpable à chaque nouveau projet, ne l’a jamais coupé de son univers ni des couleurs souvent très sombres qu’il dépeint.

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Un rappeur qui a su écouter les critiques

Une femme qui se sent bien, c’est un monde qui se sent mieux” ; “le féminisme est un combat pour l’humanité” : ces derniers temps, Damso délivre un discours bien différent de celui qui était le sien à ses débuts, malgré une vision assez particulière de la parité délivrée dans le titre Π. VANTABLACK : “l’égalité entre homme et femme, c’est le soixante-neuf”. Cette évolution, importante car il s’agit d’un artiste à large audience, n’était pas forcément attendue, quand on se rappelle de toutes les accusations de misogynie à son encontre. Dès son explosion auprès du grand public, Damso a en effet choqué par ses mots ou sa mentalité vis à vis des femmes. On se souvient par exemple de son fameux couplet sur Pinocchio, extrait de Nero Nemesis en 2015, avec des phases qui ont pu choquer certain(e)s auditeurs/trices (Shym, foulard etc).

Sur ses différents albums, son rapport parfois malsain à la gente féminine a pu choquer, comme sur le titre Amnésie, où il évoquait le suicide d’une ancienne petite amie de façon très détachée (“le jour de l’enterrement, je m’en battais les couilles”, “je me souviens de cette vie que j’ai ôté, son 86B que j’ai peloté”), ou sur Macarena, l’un de ses plus gros succès, dans lequel il raconte l’histoire vraie d’une relation avec une femme déjà en couple, se montrant à la fois toxique (“tu m’as remplacé, tu m’as délaissé / mais comme tout salaud, j’t’ai téléphoné, j’t’ai récupéré / puis j’t’ai fait pleurer parce que j’en ai rien à foutre”) et injuste (“tu baises avec moi, tu baises avec d’autres même si j’fais pareil, c’est pas la même chose”).

Depuis, Damso a pris le temps de comprendre les critiques qui lui étaient adressées, et les a visiblement pris en compte : dans une interview pour Le Monde, il explique que « quand la polémique a eu lieu, la première chose qui m’est venue à l’esprit, c’est que, si un raciste vient me dire « ce que je dis, ce n’est pas raciste » cela va m’énerver. Alors si on me dit que ce que je rappe est sexiste, je vais faire la démarche de comprendre ce que l’on me reproche« . Une réaction intelligente qui démontre que Damso a gagné en maturité et compte s’améliorer, même si QALF Infinity compte son lot de phases bien salaces et de relations pas franchement saines (“j’vais t’faire chialer, toutes les larmes de ton corps m’appartiennent désormais”).

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Des bonnes décisions, moins de polémiques

L’un des titres les plus plébiscités de « QALF Infinity », Ψ. PASSION, revient sur le tracé du parcours de Damso, avant et pendant le succès. Évoquant aussi bien les affres de la célébrité (“la vie de star est un milieu carcéral de luxe”) que les relations avec Booba (“Bercy de Kopp, à cette époque on s’entend bien, y a pas d’clashs ni de diss”), ce titre très personnel permet de mieux comprendre le ressenti de Damso sur sa vie actuelle, et de l’entendre prendre du recul sur les difficultés traversées.

Dès son couplet marquant sur l’album Nero Nemesis, Damso a su prendre les bonnes décisions pour s’imposer au fil du temps comme l’une des têtes d’affiches majeures du rap francophone. Batterie Faible, malgré des chiffres de vente loin d’être spectaculaires, lui a permis de convaincre rapidement la critique et de fidéliser une fan-base.

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La bonne marche de la carrière de Damso, qui a ensuite su pérenniser son succès, et élargir son public, a joué un rôle décisif dans l’évolution de sa personnalité. Les différents objectifs fixés à ses débuts ont tous été atteints, ou sont en cours de réalisation : Damso peut donc estimer qu’il a complété son parcours artistique du mieux possible, et se sentir en paix avec lui-même sur ce plan. Les titres pensés pour choquer l’auditeur (Amnésie, Julien, Une âme pour deux) ne sont plus une nécessité aujourd’hui. Le rappeur a gagné en maturité, et compris que la sensibilité de l’auditeur était une donnée à prendre en compte.

Ces titres ont fort logiquement alimenté des polémiques sur les réseaux sociaux sur la thématique “Damso est un génie versus Damso est l’incarnation belge de Satan”. Par conséquent, l’auteur d’Ipséité est resté pendant des années un artiste clivant, avec ses fanatiques et ses détracteurs. Au fil du temps, la relation entre Damso et le public a évolué, devenant moins chaotique. Les liens entre le rappeur et sa fan-base sont aujourd’hui extrêmement solides, à tel point que le clivage Booba/Damso semble avoir été dépassé -de nombreux fanatiques du premier continuant à soutenir le second en parallèle.

Un artiste accompli, enfin ?

La bonne gestion de ce beef par Damso est elle aussi une clé de sa réussite : plutôt que de s’embourber dans des réponses et des clashs à rallonge, jamais vraiment bons pour l’image, il a su prendre de la hauteur en évitant de subir trop de dommages collatéraux. Ne pas surenchérir dans ce type de brouille médiatisée nécessite de mettre de côté son égo, de savoir prendre du recul, de temporiser quand il le faut. Le temps lui a donné raison, et même lorsqu’il évoque la mésentente avec Booba sur le titre Ψ. PASSION, il ne se laisse aller à aucune attaque personnelle.

Après cet album, je serai un artiste accompli”, estimait Damso au micro de Léa Salamé sur France Inter quelques heures avant la publication de QALF Infinity. Désormais libéré du poids de la pression inhérente à cette sortie, il s’apprête à ouvrir de nouvelles pages, avec visiblement beaucoup de projets (ouvrir une radio, partir faire le tour du monde en camping-car) et surtout cette idée fixe qu’il martèle depuis quelques années : avoir du succès (c’est fait), vivre sa passion (c’est en cours), et enfin profiter de la vie. 

MOUV.FR