RDC – Médias : Pour Fiston Mahamba, la plupart de pratiques journalistiques ne sont pas prises en compte par les écoles de journalisme

Manager en suivi et évaluation de l’initiative de FactCheckers du Congo, éditeur et formateur en Fact-checking, c’est avec un coeur ouvert que Fiston Mahamba Wa Biondi a prêté sa voix au micro d’Eventsrdc.com, dans un jeu des questions-réponses.

Avec sa structure, Congo Check, ce rd-congolais s’active quotidiennement dans une lutte contre les fausses informations. Selon lui, ce n’est pas uniquement la vérification des faits qui est en non harmonie avec le programme éducatif congolais, plutôt la plupart des pratiques journalistiques, qui ne sont pas pris en compte en termes pratiques et techniques par les écoles de journalisme. Interview.

Les locaux de Congo Check à Goma. Ph. Dr Tiers

Congo Check se donne pour ambition de lutter contre la désinformation en Rd-Congo, comment vous vous y prenez avec la multitude de médias qui opèrent dans ce pays continent ?

La première lutte consiste à scruter les réseaux sociaux et internet dans sa globalité, qui sont les principaux canaux de diffusion des fausses informations. Ensuite, nous procédons à un monitoring des rumeurs les plus répandues au sein de communauté et nos équipes rédactionnelles sont chargées de rédiger des contenus rétablissant la réalité par des faits que nous disséminons en ligne et via les médias traditionnels.

Deuxièmement, nous organisons des formations pour les membres de la société civile, les gestionnaires des communautés en ligne, les journalistes, les étudiants en journalisme… en vue de les sensibiliser sur l’ampleur du phénomène de la désinformation et les outiller en techniques de lutte contre ce fléau. Cette démarche est assurée par notre centre d’éducation aux médias (Congo Check Academy) et au soutien de divers partenaires dont Internews, Facebook…

 

A ce jour, la désinformation ne se distingue pas de la vraie information. Comment procédez-vous dans la vérification des faits ?

Bien que plusieurs outils de nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) interveniennent dans notre travail quotidien (vérification des images inversées, recherche par les moteurs de recherche, Maps, applications de détection des images retouchées…), nous usons souvent de l’esprit critique et du doute méthodique face aux informations virales pour amorcer une démarche de vérification. C’est ce doute, cet esprit critique que nous conseillons souvent à toute personne car le faux s’inspire du vrai et a tendance de faire réagir l’émotion que la raison.

Fiston Mahamba au cours d’un atelier de formation. Ph. Dr Tiers

Récemment, vous venez d’animer des conférences à Kinshasa avec des journalistes autour du fact checking. Quel retour avez-vous eu de ces rencontres ?

Grâce au programme Media Sector Development Activities (MSDA), mis en œuvre par FHI360 et Internews, sur financement de l’USAID et de la coopération suédoise,  Congo Check a été invité à animer des ateliers de formation dans les villes de Goma, Kinshasa et Lubumbashi, destinées aux journalistes des médias traditionnels et en ligne partenaires de ce projet.

Au total 45 journalistes en raison de 15 par ville ont été initié à la vérification des faits. Bien que cette vérification est le centre même du travail quotidien du journaliste, il a été constaté que suite à l’environnement dans lequel ces derniers travaillent, ils tombent parfois dans le piège de la désinformation vu que peu de ressources (humaines, financières, temporelles, techniques…) sont alloués à la vérification par les médias. Les sources avec l’intention de propager les fausses informations (désinformation) profitent de ces aléas pour distiller les infox. Aussi face à ces contraintes, certains journalistes propagent involontairement des informations erronées (mésinformation). 

Brièvement, le plus grand retour reçu est cet engagement de tous les participants à devenir des ambassadeurs du Fact-checking au sein de leurs médias et communautés respectifs dans l’objectif de contrer la désinformation, qui a des effets néfastes dans la société et cause littéralement des morts (des personnes ont été infectées par Ebola, car elles s’étaient fiés aux rumeurs qui déniaient l’existence de cette maladie dans la région orientale de la RDC). Déjà, des séances de restitution ont commencé à être tenues dans les rédactions par les journalistes revenus des ateliers. Des FactChecks (articles vérifiés) sont rédigés face aux situations de propagation de fausses informations. C’est qui marque un pas géant vers la pénétration du Fact-checking au sein de différentes rédactions.

Fiston Mahamba animant un atelier de formation avec les journalistes de Kinshasa. Ph. Dr Tiers

Quel a été l’objectif de cette rencontre ?

Toutes ces formations avaient pour objectif de créer une pépinière des journalistes sensibles à la désinformation, qui par la suite formeront leurs paires dans cette démarche journalistique et éduquerons le grand public via leurs rubriques d’éducation à adopter une approche critique face à toute information reçue, peu importe la source.

 

Quelle lecture faites-vous des contenus des médias rd-congolais sur les critères de la crédibilité et de l’objectivité ?

La plupart des médias de la République Démocratique du Congo s’inscrit dans la bonne voie d’informer la population, malgré les multiples défis auxquels ils sont confrontés. Les conditions de travail dans lesquels les journalistes congolais exercent sont précaires mais les journalistes font leur métier tout en essayant de rester le plus crédible par leur démarche et indépendant, mais il faut souligner que c’est tout à fait difficile de trouver des médias 100% indépendants avec les modèles économiques actuels.

Il serait important que le secteur médiatique soit assaini afin que les journalistes puissent exercer et vivre de leur métier. Cette réforme est possible si les corporations des journalistes prennent conscience du problème et que l’accompagnement des institutions gouvernementales soit assuré.

Logo de l’initiative de FactCheckers du Congo, Organisation-mère de Congo Check. Ph. Dr Tiers

Avec les réseaux sociaux, c’est tout le monde qui devient porteur d’information, et la circulation est d’une vitesse d’éclair, facile pour désinformer l’opinion. Comment Congo Check fait pour contourner cette réalité ?

Il faut tout d’abord souligner que face à l’émergence de l’usage des réseaux sociaux, il ne faut pas s’informer sur ces outils. Il faut plutôt utiliser les réseaux sociaux comme champs de recherche pour amorcer la vérification des informations, mais aussi mesurer la tendance des diverses couches de la société sur un sujet donné.

En tant que signataire du code des principes du Réseau International de Fact-Checking, Congo Check s’est donné pour mission de riposte contre toutes formes de désinformation en République Démocratique du Congo et dans les régions du Bassin du Congo. Voilà pourquoi nous sommes en pleine expansion du champ d’action avec déjà un desk actif en République Centrafricaine et bientôt au Congo-Brazzaville, Gabon, Tchad, Burundi,  Rwanda (que nous couvrons déjà depuis la RDC)…

Notre démarche est aussi d’inclure les géants d’internet dans la lutte car la désinformation passe souvent par leurs plateformes. Aujourd’hui la société Facebook s’est associée à la lutte et il est possible de voir les contenus trafiqués signalés par Congo Check sur cette plate-forme suite à l’implication du Réseau International du Fact-checking. Le but final et de voir les autres géants suivre ce pas et l’accomplissement d’un internet assaini se réaliser.

L’ambassadeur des USA en RDC Mike Hammer dans les locaux de Congo Check. Ph. Dr Tiers

Certes, le fact checking est un atout pour le journalisme. Mais ne pensez-vous pas que d’un autre côté, cette pratique empêche la liberté de presse ou d’expression ?

Le Fact-checking promeut la liberté de la presse et d’expression et aide notamment au renforcement de la crédibilité des médias. Un média qui a diffusé une fausse nouvelle et qui rebondit en la mettant à jour tout en expliquant sa méthode auprès du public sera plus crédible que celui qui n’agit pas après avoir constaté l’erreur ou qui supprime sans explications ses propres contenus qu’il  juge faux.

Quant aux opinions, le Fact-checking ne les traite que si elles induisent délibérément en erreur le public. Ce qui vient confirmer la règle selon laquelle tout n’est pas permis au nom de la liberté d’expression.

 

Le travail que vous faites nécessite un gros budget pour arriver à confronter les sources et à rencontrer la bonne information. Où trouvez-vous vos moyens financiers ?

Pour naître Congo Check a d’abord compté sur les cotisations de ses membres, qui ont mis en place les structures physiques, digitales et légales.

Pour continuer à rester indépendant dans son travail, Congo Check ne reçoit pas des fonds ou subventions venant de politiques car son travail consiste également à suivre la réalisation des promesses tenues par les gouvernants et à informer les populations sur les données vraies ou erronées contenus dans les discours politiques suite à son Baromètre de suivi des promesses.

Les grants reçus d’organisation d’appui aux médias sont également des sources de revenus pour Congo Check, qui tire également une partie de son budget dans la prestation de services comme la formation en Fact-checking et aux nouveaux médias pour les organisations qui en sollicitent.

Clôture de la formation sur la vérification des faits au CEPAS/Kinshasa, sous la conduite de Congo Check et Internews. Ph. Dr Tiers

Avez-vous un message à adresser aux écoles de journalisme de la Rd-Congo sur cette nouvelle manière de traiter ou de vérifier l’information ? 

Alors que la démarche pour l’adaptation du programme éducatif reste essentiellement parlementaire et semble être projetée dans un futur lointain par les décideurs de ce secteur, il est aujourd’hui important que les écoles de journalisme créent un jumelage avec les centres de développement des médias en vue de briser cette fracture.

Ce n’est pas uniquement la vérification des faits qui est en non harmonie avec le programme éducatif congolais, plutôt la plupart de pratiques journalismes, qui ne sont pas pris en compte en termes pratiques et techniques par les écoles de journalisme, la loi régissant le secteur étant elle-même en total discordance avec les réalités actuelles, qui sont en perpétuelles mutations.

GLODY NDAYA