Littérature : “Nation cannibale” ou l’écriture caustique de l’entre-deux de In Koli Jean Bofane

Un récit caustique, saisissant et cocasse qui réinvente l’élan de l’ancrage historique longtemps exhumé entre la RD-Congo et Haïti. “Nation cannibale” de In Kole Jean Bofane, c’est l’écriture qui décuple le besoin du devenir collectif entre imaginaire et réalité et souligne le rapprochement de la pensée spirituelle entre les peuples de deux pays. Le roman oscille entre libération, esclavage et tourments dans un monde rigide et téméraire d’un côté, couard et frivole de l’autre.

Tête chenue, voix grave et regard toujours aussi tranchant, In Kole Jean Bofane poursuit son itinéraire romanesque original à 70 ans. Exilé en Belgique depuis 1993, le célèbre écrivain rd-congolais Grand prix littéraire d’Afrique noire en 2009 a publié le 2 janvier 2025 aux Éditions Denoël son 6e roman intitulé “Nation cannibale”.

La promptitude de l’action face à la limite de la libération entravée par le refus de voir la lumière au bout du tunnel est une évocation réelle, pas qu’imaginaire d’un monde de l’incorrection empreint de cruauté toxique. Jean Bofane dénonce les rapaces de l’humanité et particulièrement ceux de son Congo natal et de Haïti qui soudoient les valeurs. Ce roman est le fruit d’un voyage dans l’île caribéenne de l’écrivain septuagénaire à partir duquel il a su que la moitié d’esclaves de la colonie française de Saint-Domingue de l’époque viennent du Royaume Kongo.

« Je voulais parler d’esclavage et de libération. Quand je parle des dérives et des addictions au niveau du sexe, c’est un être humain qui ne veut pas se libérer de quelque chose. Et je voulais parler de libération et de l’esclavage, forcément Haïti et Congo sont très liés, parce que les peuples sont les mêmes, c’est très étrange qu’on ait un destin compliqué, et en même temps la moitié d’esclaves de Saint-Domingue de l’époque étaient Kongo. Je l’ai appris en allant là-bas (…) Le Congo est bourré des matières premières, Haïti aussi, mais on ne le sait pas », souligne l’auteur.

Écrivain d’engagement aux côtés du peuple, de prise de parole et de responsabilité, In Kole Jean Bofane a une nouvelle fois affirmé son style dans une expression de liberté et dans la grande créativité. « Les Africains doivent prendre la parole pour parler de leur continent, ce continent dont on ignore tout », affirme-t-il.

Un héros excessif

Faust Losikiya, le héros excessif de In Koli Jean Bofane est un citoyen du monde qui dans ses dérives, est rattrapé par les histoires de viols. Cependant, il ne paie pas tout de suite le prix de la libération. Il se rend ensuite en Haïti pour son projet de roman. Un voyage de recherche mais aussi marqué par des situations diverses et des rencontres inattendues. Divinités haïtiennes, trafic d’eau potable, kidnapping…le personnage rencontre une panoplie de situations.

« Lui il n’a pas envie de se libérer. Comme c’est son plaisir, il a difficile à se libérer, alors qu’il doit se libérer, il va se libérer plus tard dans les divinités haïtiennes. Mais, il ne veut pas se libérer. Est-ce qu’on veut vraiment se libérer et quel prix on veut payer pour la libération », explique Jean Bofane parlant du personnage de son dernier roman.

Cette situation de son héros, il la compare à celle des politiques prédateurs de notre époque notamment qui ne veulent pas se libérer de leur manège. « Parmi nous, actuellement on a des régimes politiques bizarres, il y a des présidents qui sont entrain d’être intronisés aujourd’hui, très suspects, on vit dans ces choses-là, mais est-ce qu’on a envie de se libérer ? Moi je n’ai pas vraiment l’impression. »

Hommage à la création artistique

Dans “Nation cannibale”, Jean Bofane rend hommage à la création artistique. Il y cite notamment son ami, le célèbre artiste plasticien Freddy Tsimba qui, dans le roman, paie lui le prix de la libération. « Ce que le peuple invoque, nous le matérialisons, moi et mon ami Freddy Tsimba. Nous sommes dans la lignée des forgerons », dit-il.

Toujours dans cette optique, In Koli a également rendu hommage aux figures de la littérature, celles qu’il a toujours lues et admirées notamment Alain Mabanckou, Blaise Ndala, Danny Laferrière, Makenzy Orcel pour ne citer que celles-là. L’écrivain a également fait un clin d’œil au groupe rd-congolais de rock Jupiter & Okwess.

Un roman à lire absolument.

CHADRACK MPERENG