Lukono Sowa donne son avis d’expert

Homme de terrain, avec des décennies d’expérience derrière lui, cet opérateur de développement et Député national, Membre de la Commission Aménagement du territoire, aborde ces questions avec un œil averti. Derrière le bureau de son ONG Action pour le Développement des Infrastructures en milieu Rural (ADIR), Lukono Sowa, ancien Directeur national du Service National d’Hydraulique Rural (SNHR), de 1983 à 1996, et Député national Membre de la Commission Aménagement du territoire, accueille la rédaction de « Le Monde Rural ». Sous sa casquette d’opérateur de développement, il aborde les questions du découpage et infrastructures en milieu rural, et celle de la spoliation des sites maraichers avec aisance, fort d’une expérience éprouvée dans le secteur rural. Pour lui, loin d’être instantanée, la vision de développement d’un pays est une construction progressive, une accumulation des réalisations, en se projetant sur des générations. « Les bâtiments, c’est vrai, on peut les avoir progressivement… Les infrastructures qui sont beaucoup plus complexes. Ce sont les ponts, les routes,… Il faut trouver beaucoup de moyens pour les construire. Là, c’est le challenge », appuie-t-il. Ci-dessous l’interview.

Lukono Sowa -ancien Directeur national du SNHR et Député national Membre de la Commission Aménagement du territoire. Ph.Dr.Tiers
Lukono Sowa -ancien Directeur national du SNHR et Député national Membre de la Commission Aménagement du territoire. Ph.Dr.Tiers

La territoriale est appelée à jouer un grand rôle par rapport au découpage. Mais il se pose un problème d’infrastructures. Serait-il possible d’avoir ces infrastructures le plus tôt?

En tant qu’opérateur du développement, je peux dire que la création et la mise en place des infrastructures dépendent des acteurs. Ce qui est important c’est d’avoir un cadre juridique qui permet aux acteurs de se mouvoir et de rechercher des solutions aux problèmes qui se posent. La grande question est de savoir: est-ce que les animateurs des entités concernées seront en mesure de développer les infrastructures nécessaires au bon fonctionnement de leurs entités? Si oui, ont-ils les moyens? Et s’ils n’ont pas les moyens, comment doivent-ils faire pour les trouver?

Moi, je crois que la vision de développement d’un pays est une construction progressive, une accumulation des réalisations les unes après les autres, en se projetant sur des générations, parfois une, deux générations. Ce n’est pas une question instantanée comme on semble le croire. Parce que très souvent les gens disent: «il faut qu’il y ait des infrastructures». Je donne toujours l’exemple de beaucoup de Congolais. Si l’on n’avait suivi le fait qu’il fallait trouver une maison pour y habiter, la moitié d’entre eux n’habiteraient jamais dans une maison. Les gens ont construit leurs maisons petit à petit, au bout de trois ans ou quatre ans. Et cela en l’absence de crédit. Et l’on trouve que les gens habitent, certes ce n’est pas l’idéal, mais il reste qu’ils sont propriétaires de leurs terrains… Le raisonnement est valable aussi en ce qui concerne les infrastructures en milieu rural.

Mais que faut-il faire pour acquérir ces infrastructures?

Quand je parle des infrastructures, je dois les distinguer. Les bâtiments, c’est vrai, on peut les avoir progressivement. Il y a les matériaux locaux qu’on peut utiliser. Il y a la brique cuite qu’on a abandonnée au profit du ciment. Je viens d’une localité où des grandes églises et des grandes écoles ont été construites en briques cuites avec jointement en argile et à une protection de jointements à l’extérieur. Mais ces bâtiments ont plus de cent ans. Toute la question c’est de savoir ce que l’on veut faire. Maintenant, il y a les infrastructures qui sont beaucoup plus complexes. Ce sont les ponts, les routes,… C’est une pratique quotidienne que l’on doit faire parce qu’il faut trouver beaucoup de moyens pour les construire. Là, c’est le vrai problème.

Et comment trouver les moyens ?

Comme je dis, c’est la question de la productivité et de la production. Depuis quelques années, il y a très peu de production à l’intérieur. Les gouvernants n’ont pas su mettre en place des pratiques permettant aux gouvernés d’augmenter leur production. Et, la production essentielle c’est la production rurale. On s’est plus tourné vers la production agricole vivrière alors qu’elle n’est génératrice de revenus que pendant une saison. On aurait dû développer l’agriculture pérenne comme l’on fait d’autres pays africains dont la richesse de leurs habitants est basée sur cette agriculture notamment le cacao, le café, l’huile de palme, les arbres fruitiers… vous savez qu’à l’époque coloniale on obligeait à chaque personne d’avoir un oranger dans sa parcelle. Et la somme de tous ces orangers pour nourrir tout le monde. Actuellement rien n’est fait. Vous allez en province, dans des parcelles, vous trouvez que c’est vide. Il n’y a même pas un manguier. Donc il y a toute une façon de reconsidérer la vie pour permettre l’augmentation de la production agricole et permettre la création des richesses.

Il y a quand même des infrastructures qui sont réalisées ça et là. Mais seulement, on constate qu’elles dépérissent assez vite faute de suivi. Quelle est la solution pour éviter cela ?

L’intervention en milieu rural doit se faire avec le consentement des bénéficiaires. Ça ne doit pas être une injection spectaculaire d’un ouvrage sans que les concernés ne s’en approprient. Très souvent, nous arrivons et nous disons: «on va vous faire ça». Mais, est-ce que c’est ça la priorité de ces gens? Si tel est leur priorité, quel est le rôle qu’on leur donne? C’est pourquoi mon organisation (ADIR) met l’accent sur la pérennisation des infrastructures mises en place pour le bénéfice des populations. Nous mettons l’accent sur le fait que pour entretenir une réalisation, il faut de l’argent. Le bénévolat n’arrange pas. Jusqu’ici on a toujours pensé que c’est le développement, la population va se prendre en charge, sans définir cette prise en charge. On dit que les gens sont pauvres, ils ne sont pas capables de faire. Mais quand est-ce qu’ils créeront des richesses pour devenir riches? Le développement ou l’accumulation des richesses et la résultante de l’envie de la satisfaction des besoins que l’on crée.

Je donne l’exemple des téléphones portables. Lorsque vous allez dans nos villages, vous trouverez toujours des téléphones cellulaires malgré la pauvreté des gens! Ce n’est pas 100% de gens, mais il y a parfois la majorité de gens qui ont le téléphone. Et vous trouverez des réparateurs de téléphone sans qu’il n’y ait eu un projet de formation pour la réparation de ces téléphones.

Et la solution…

Il y a donc une nécessité de faire en sorte que le coût d’entretien des infrastructures soit supporté par les bénéficiaires. Il faut impliquer les bénéficiaires dans la gestion de ces infrastructures. Il ne faut pas que cela paraisse comme quelque chose qui appartient à Y (Biloko ya l’Etat, biloko ya REGIDESO, biloko ya SNEL, …). Les gens ne s’identifient pas dans ces infrastructures-là. Du coup, ils les considèrent comme quelque chose qui ne leur appartient pas. Et donc, l’entretien devient difficile à faire. Mais, si les gens endossent le projet, participent au fonctionnement de ce projet, il est très difficile que ça tombe en panne, parce que la sanction envers ceux qui gèrent cette infrastructure tombera rapidement au niveau du village. Je crois qu’il y a un effort de changement de méthodologie d’intervention dans le monde rural. On ne doit pas se contenter de faire de belles choses, de faire des inaugurations et de dire: «on a réalisé». Il faut se contenter de dire: «on a fait quelque chose». C’est quand ont revient 5 ans, 10 ans après que l’on voit que ça fonctionne encore qu’on dit: «ah ! On a réalisé ». A ce moment-là, on aura fait des progrès.

Quel commentaire faites-vous sur la spoliation des sites maraichers dans l’inter land de Kinshasa, cas de Kingabwa?

Nous avons d’énormes problèmes dans notre pays par rapport à la politique agraire, la politique des terres. On doit trouver des solutions à ces problèmes. On ne peut pas laisser le bêton prendre la place des champs dans tous les territoires.

Je suivais un documentaire sur la ville de Tokyo (Japon). Aujourd’hui, ils sont en train de remplacer quelques immeubles, et même obliger les immeubles d’avoir des jardins sur les toits. Ils se sont rendu compte de l’erreur qu’ils ont commise. Il y a des rizières au-dessus des immeubles, alors que chez-nous on a remplacé les champs par des immeubles. Ce n’est pas une bonne politique. On doit pouvoir protéger tout ce qui permet à l’homme d’exister parce que le plus grand besoin de l’homme est d’abord de se nourrir, après de se vêtir ensuite de se protéger. C’est une très mauvaise politique de retirer de l’agriculture les terrains qui lui sont favorables.

CAROL NZORE & HUGO MABIALA (MONDE RURAL)