Musique : A quoi servent les rééditions ?

Ninho, Damso, Kaaris, Dinos, Hatik, SCH, PNL, Kalash Criminel… Au cours de ces deux dernières années, tous ces rappeurs ont publié une réédition. Mais dans quel but, au juste ? On vous explique tout sur les rééditions, notamment grâce aux éclairages de Henzy, rédacteur en chef de Ventes Rap, et Vincent Le Nen alias Napoléon LaFossette, consultant.

Quels objectifs pour la réédition ?

Définissons dans un premier temps la réédition : le terme intervient lorsqu’un artiste ajoute des titres à un projet original. Dans cet article, il sera essentiellement question de rééditions parues au cours de l’ère du streaming, soit des rééditions datant au plus tard de la décennie précédente. Avant cela, ces dernières étaient simplement beaucoup plus rares dans le rap : elles impliquaient une réimpression en CD du projet, un procédé coûteux et donc réservé aux artistes ayant un fort succès – d’autant plus qu’au cours des années 2000, la crise du CD avait frappé de plein fouet le rap.

Beaucoup plus répandues depuis qu’il est très simple de les distribuer, les rééditions prennent des formes multiples : une salve d’inédits, un deuxième CD accolé au premier, un bonus initialement sorti en physique finalement ajouté sur les plateformes… Toutefois, l’objectif de la réédition est simple : il est commercial et artistique. « En général, une réédition est pensée pour faire vivre un projet plus longtemps, et donc faire en sorte qu’il atteigne un certain seuil de ventes. Dans des cas plus rares, les rééditions peuvent aussi avoir un objectif artistique », explique Henzy.

Pour Vincent Le Nen, le second aspect prend largement le pas sur le premier lorsque l’on parle de réédition. « La plupart des artistes, lorsqu’ils font un album, sont guidés par des ambitions artistiques. L’aspect commercial est une conséquence. A contrario, dans la réédition, c’est peut-être plus la logique commerciale qui est le but premier et l’artistique est une conséquence ».

Bien que l’absolue majorité des rééditions sorties par les rappeurs ont bien moins de succès commercial qu’une sortie d’un nouvel album, sortir une réédition permet de créer un momentum médiatique. Autrement dit, elle est un prétexte pour relancer une session de promotion. De plus, la réédition permet à un artiste de mobiliser de nouveau son public autour de son dernier album en date mais également de mettre en lumière le back catalogue, c’est-à-dire le reste de sa discographie.

« Ce qu’on remarque c’est que les titres de la réédition streament moins que la version originale, ce qui veut dire qu’elle est là pour apporter l’impact médiatique afin que les auditeurs vont revenir sur le back catalogue. La réédition va servir de prétexte à l’artiste pour attirer les auditeurs vers son album le plus récent mais aussi vers le reste de son catalogue qui était moins écouté. Fait intéressant : tous les artistes ont des pics d’écoute de leur back catalogue quand un nouvel album ou une réédition sort », souligne Henzy.

Pourquoi les rééditions ont-elles mauvaise presse ?

Toutefois, les rééditions ont tendance à avoir mauvaise presse auprès du public. Les fans sont désormais conscients de l’importance des certifications aux yeux des artistes et se sentent parfois abusés lorsque l’un d’entre eux en publie une dans le but de décrocher un disque d’or voire de platine. « Tout d’abord, tu n’as pas l’aspect “nouveauté” dans la réédition. Ensuite, il arrive que l’auditeur se sente pris pour un con lorsqu’il se rend compte que parfois, dans les rééditions qu’il écoute, se trouvent surtout des chutes de studio qui n’avaient pas été retenues dans la version initiale du projet », pointe du doigt Vincent Le Nen.

Ce ras-le-bol était cristallisé autour de Hatik et son interminable mixtape Chaise pliante qui, à force de raccordements, de projets fusionnés, a fini par accrocher un disque de platine. De la même manière, Dinos avait également essuyé des critiques lorsqu’il avait ajouté des inédits inachevés à son précédent album studio Taciturne. Comme le souligne Henzy, il existe des publics qui sont impactés par d’autres facettes que la musique et celui du rappeur de La Courneuve (93) en fait clairement partie.

« Certains publics ont un vrai degré d’exigence par rapport à la cohérence artistique globale d’un projet. Des aspects tels que la stratégie promotionnelle ou les visuels autour de l’album vont les impacter à un niveau quasiment égal à celui de la musique. De plus, certains artistes à la musique élitiste pourraient “salir” leur projet aux yeux du public en ne sortant qu’une simple réédition. Si au contraire, l’artiste communique sur un double album pensé depuis le début comme tel, le public percevra une démarche artistique ambitieuse ».

Le double album, la parade ultime aux défauts de la réédition ?

En effet, depuis quelque temps, les artistes semblent avoir trouvé une parade pour contourner les deux défauts principaux de la réédition, à savoir son manque d’impact et sa trop forte connotation commerciale : le double album. Affublées d’une pochette d’album ainsi que d’un nom bien à elles, ces rééditions ne sont que très rarement vendues comme telles lors de la promotion effectuée par les artistes. En étant déguisées ainsi, elles sont plus facilement acceptées par les publics qui y voient une nouveauté d’une force suffisante pour attirer leur attention.

Au cours des derniers mois, plusieurs rappeurs ont agrémenté leur projet d’un nouveau disque : Dinos avec « Stamina », « Memento » (qui lui a permis de décrocher son tout premier disque de platine), Hatik avec « Noyé » ou encore Kaaris avec « Château noir », sa réunion avec « Therapy ». Dans les musiques urbaines, ce procédé est également utilisé par Gims et Dadju ou encore Tayc qui, au cœur d’un télé-crochet à succès et à l’affiche d’une série originale Netflix, vient d’offrir une suite à son succès « Fleur froide ». Toutefois, la réédition récente la plus marquante est celle de Damso avec « QALF infinity ».

Parmi toutes les rééditions sorties ces cinq dernières années, celle du rappeur belgo-rd-congolais a fait grand bruit. Teasée sept mois plus tôt, en même temps que la sortie de QALF, elle a permis au projet d’être certifié double disque de platine très rapidement après sa sortie avec de gros chiffres à la clé : plus de 8,6 millions de streams en 24 heures sur Spotify France (soit presque autant que le dernier album de Booba, ULTRA) et une remontée spectaculaire dans le top albums SNEP de la 43e à la deuxième place avant de s’emparer de la première place, aux dépens de JVLIVS II de SCH, la semaine suivante. Grâce à un marketing crypté, exactement ce dont les fans de Dems sont friands, le rappeur a su capitaliser sur les théories de double album qui reviennent incessamment à chacune de ses sorties.

Un format pas adapté à toutes les catégories de rappeurs

La réédition reste un format plus rigide que ce que l’on peut penser. Elle est certes efficace pour permettre à un artiste installé ou en pleine ascension de rediriger son public vers son back catalogue ou bien pour décrocher une certification. Plus largement, plus un artiste a un grand public, plus sa réédition rencontrera le succès. Néanmoins, le format a un apport bien plus négligeable pour des artistes que l’on dira intermédiaires – rappeurs n’ayant encore jamais atteint le seuil du disque d’or.

Henzy pointe trois problématiques majeures. La première est l’exposition médiatique moindre. En effet, un artiste intermédiaire a déjà plus de difficultés à atteindre les gros médias qu’une tête d’affiche, il aura encore plus de mal à les mobiliser pour la réédition d’un projet. Ainsi, la réédition perd déjà une belle partie de son avantage : créer un momentum médiatique.

La deuxième prolonge la réflexion autour de la mauvaise presse des rééditions. Certains artistes disposent d’un public très exigeant. S’il est très engagé, il reste critique et pourrait être réfractaire à la réédition, associée à un aspect commercial : « Ces derniers ont un public peut-être plus averti et moins large que les grosses têtes d’affiche, qui aura plus tendance à considérer en mal le fait de vouloir booster commercialement son projet par une réédition », explique Henzy.

La dernière problématique est d’ordre financier. Une réédition sortie par un rappeur intermédiaire est quasiment assurée de ne pas être très rentable. En outre, la réédition prolonge un projet. Or, il est difficile de convaincre un auditeur de découvrir un artiste à travers un projet de vingt titres durant plus d’une heure… « Comme ce sont des artistes en développement, ils n’ont pas encore la fanbase pour que la réédition soit viable commercialement. En outre, un artiste intermédiaire à moins de chances d’être écouté sur tout un projet par le grand public », détaille le responsable éditorial de Ventes Rap.

Dès lors, quelle stratégie adopter lorsque l’on est un artiste à la carrière en plein développement ? Henzy préconise des projets plus courts, comme des EP : « Au vu du grand nombre de morceaux qui sortent à l’heure actuelle, ce type d’artistes a tout intérêt à sortir des projets plus courts : comme le public vient de découvrir leur musique, il sera plus indulgent s’il trouve un morceau mauvais dans un projet court ».

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